[avwaʁ léz kalo a la ʒybil] (Marr. HUM.)
Se fendre la poire, se gausser, se bidonner, se gondoler et se poiler, rigolbocher même, a toujours pour conséquence d’avoir les calots à la jubile.
Se fendre la poire, se gausser, se bidonner, se gondoler et se poiler, rigolbocher même, a toujours pour conséquence d’avoir les calots à la jubile.
S‘il vous prenait, dans un accès de dépit mal réprimé, d’intimer à un contradicteur par trop contredisant d’aller se jeter aux Goudes, il serait préférable d’adopter l’accent chantant nécessaire au bon usage de l’expression. De celui qui fait dans le placement original de l’accent tonique et vous rappelle ce faisant qu’il est du Sud, qu’il aime le verbe quand il est haut et le Ricmuche pas trop noyé. Surtout pas de pointu.
Petit port du bout du monde jadis peuplé de pêcheurs taquinant gentiment la sardine (mais tout de même doté pendant quelques années d’une usine bidouillant du vitriol fumant, acide idéal pour dissoudre un corps un peu trop encombrant), les Goudes se sont avérées quartier marseillais du plus juste éloignement pour faire s’éclipser les chipoteurs de la Canebière ou les belliqueux du Panier. Soit un petit paradis pour truand encombré par une pièce à conviction compromettante.
Les Goudes, si loin de l’Evêché
Sans maison poulaga pour faire dans la coercition (on est loin de l’Evêché), il était aisé au sicaire de balancer dans la Méditerranée sise rue Désiré Pelaprat le macchabée devenu encombrant.
Ainsi, à force de différends et de leur règlement peu amiable, le lieu devint tant fréquenté en sous marin qu’il fut naturellement décidé qu’aller se jeter aux Goudes traduirait l’ordre ultime de disparaître au figuré avant que ce ne soit en propre (si l’on peut dire).
Une sorte d’irrévocable sommation de la crapule, de dernière station avant l’autoroute, de un-deux-deux-et-demi avant le trois.
La caractère radical de la proposition diminuant au fur et à mesure de l’arrivée toujours plus importante de touristes en quête d’authentique et de boissons rafraîchissantes, aller se jeter aux Goudes se cantonnera en fin de sa carrière à envoyer paître le gênant sans intention de l’occire pour autant. Comme quoi on peut faire dans la mise en demeure sans en venir aux mains.
Le Milieu déclinant et le crime se désorganisant, aller se jeter aux Goudes s’abîmera tranquillement, laissant de modernes invectives ordonner plus directement d’aller voir là-bas si j’y suis sans poésie ni emphase provençale.
Même si l’idée du camion qui germe dans l’esprit fécond de Nicolas Joseph Cugnot en 1769 peut être vue comme initiale, le bougre aura malheureusement le mot qui flanche en dénommant son chariot à transporter les charges lourdes un « fardier » (certainement parce qu’il permettait de se fader des fardeaux) et ne peut dès lors être crédité de l’invention de l’expression payer au cul du camion.
L‘escarpe des fortifs’, le rôdeur de barrière, qu’il soit des Gars de Charonne ou de la bande des Quatre Chemins ne fait pas dans la dentelle quand il s’agit de faire valoir son point de vue. L’Apache en désaccord n’hésite pas en effet à mettre un brocco, histoire d’argumenter. La Belle Époque c’est aussi du bourre-pif, de la taloche, de la nasarde, pas que de la java ou de la valse chaloupée.
Le chercheur en suranné aura beau se démener, jamais il ne trouvera si c’est un bolo-punch, un crochet ou un uppercut que l’expression mentionne de son brocco peut-être venu d’Italie, vu que le marlou n’est pas causant et qu’il ne fait pas vraiment dans l’étymologie quand il refile de la mornifle.
S’il jacte ainsi c’est que l’argot est son dico. Plutôt que molester (trop rupin), commotionner (trop médical), ou estourbir (trop littéraire), le galapiat préfère mettre un brocco, rapport que c’est plus sec, que ça claque mieux. L’ahimsa du Mahatma c’est pas son fort au mec de Ménilmuche. Lui il travaille dans la nuisance, dans le dommage et la blessure.
Mettre un brocco ne survivra guère à l’apacherie mise au ban et au bagne par l’action de la maison poulaga, elle-même promouvant des formes originales du langage et qu’on ne pourra dès lors suspecter d’avoir voulu faire table rase de cette phraséologie fleurie.
L’expression disparaîtra comme elle était apparue : sans que l’on sache comment.
Toi t’as sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue » n’a rien à voir avec « toi t’as pas sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue ». Rien. Qu’on se le dise. La deuxième expression n’est pas la négation de la première; la langue surannée sait brouiller les pistes de la compréhension du quidam mal équipé côté verbe. Il faut des lettres pour dégoiser peinard.
Selon toute vraisemblance c’est après le 31 mars 1889 que l’expression consacrant le fanfaron un peu trop vantard a vu le jour.
En effet, avant l’inauguration officielle de la tour en fer puddlé de ce bon vieux génie de Gustave Bönickhausen dit Eiffel (les guides touristiques ne sauront jamais assez le remercier d’avoir construit son œuvre sous le patronyme raccourci d’Eiffel, « devant vous s’élève la tour Bönickhausen dit Eiffel » s’avérant nettement plus pénible à débiter à une masse de visiteurs ébahis – mais ceci est une autre histoire), il semble impossible qu’avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue ait pu exister. Celui qui se la racontait alors était tancé sous d’autres formes.
Devant vous s’élève la tour Bönickhausen dit Eiffel
Il est heureux pour la langue que la dynamique des forces métalliques ait fait aboutir une forme pointue car on imagine mal moquer le fat avec un « toi t’as sucé la tour Eiffel pour la rendre arrondie » ou encore « toi t’as sucé la tour Eiffel pour la rendre plate ». On friserait dans ce cas le ridicule quand on côtoie les dieux avec cette formule à la fois visionnaire et du plus évident des bons sens. Nul autre que le pire de rodomont ne saurait se vanter d’arriver à la cheville du seul ingénieur en travaux publics à avoir terminé son chantier dans les délais annoncés.
Dès que les Parisiens et le monde découvrent la Dame de fer, avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue prend ses quartiers de noblesse bien au-delà du 7e arrondissement et du quartier du Gros-Caillou.
Le succès est à l’aune de la prouesse technique et esthétique de la plus haute structure du monde.
Partout on envie la langue française pour avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue. Et on tente de la copier. Quarante ans plus tard, comme le Chrysler Building devient le toit du monde bâti, la gouaille new-yorkaise tente un you sucked the Chrysler building to make it sharp qui échouera lamentablement. La langue française est inégalable.
Quand en 1991 la tour rejoint le patrimoine mondial de l’UNESCO, les fonctionnaires onusiens tatillons et chagrins refusent qu’avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue soit versée à ce même patrimoine, arguant d’indécence phallocrate, de sous-entendus érectiles, d’allusions érotiques.
Ces gratte-papiers n’entravant que pouic à la langue surannée précipiteront l’expression dans l’oubli. De ces idiots on peut cependant toujours dire qu’ils n’ont pas sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue, puisque c’est à cela que sert la négation introduite.
Dans un pays où, selon la bonne formule attribuée au Général¹, « il existe plus de fromages que de jours de l’année », il aurait été curieux qu’aucun de ces nourrissements laitiers n’alimente aussi la langue en sus du palais.
Fromage frais généralement au lait et au lactosérum cuit de chèvre, la brousse est fabriquée dans le sud-est de la France, là où la faconde chantante trouve un terrain naturel à l’exercice d’une créativité débridée certainement affûtée au Perniflard ou au Ricmuche, mais ceci est une autre histoire. C’est donc de cette pâte blanche et grumeleuse qu’il est question quand se dit rentrer à l’heure des brousses.
C’est que le producteur qui descend à pied du Rove pour vendre sa production sur le Vieux Port quitte tôt son village provençal et rentre bien tard à la ferme. Peut-être est-il allé aux carreaux brouillés rue Lanternerie ou rue Bouterie – dans le Secteur Réservé – ce qui expliquerait facilement le retard, mais ce n’est pas cette option que retient l’expression qui entend simplement signifier que celui qui est rentré à l’heure des brousses est rentré tard. Rien de plus, rien de moins.
Langue méridionale bien pendue aidant, rentrer à l’heure des brousses s’entendra plus d’une fois en ces temps où l’aube naissante accompagne au bercail le danseur de mia de retour du New Starflash Laserline Hatchin’ Club (ou du Macumba), sonnant comme un reproche mineur puisqu’il faut bien que jeunesse se passe. Étrangement, nul ne fait tout un fromage du fait de rentrer à l’heure des brousses. Sauf l’administration française qui, dans sa volonté de se mêler de tout et de réglementer jusqu’à la langue surannée, décidera un beau matin que la brousse n’est pas un véritable fromage mais un produit laitier.
Il n’en fallait guère plus pour que le noctambule s’embrouille et décide, lassé de ces subtilités, de s’affaler devant son poste de télévision et de s’endormir bien vite.
Le moderne ne rentre pas à l’heure des brousses, à cette heure bleue où les travestis vont se raser, les strip-teaseuses sont rhabillées, les traversins sont écrasés et les amoureux fatigués. À cette heure où Paris et Marseille s’éveillent parce qu’il faut bien aller bosser.
Quand c’est poussif, que ça hoquète du moteur ou que ça tousse dans l’action, quand ça déconne bicause magouille, quand ça s’égare dans le zig et un peu dans le zag, le langage de mamie fait dans la comparaison citadine en prétendant que ça marche comme les affaires de la ville.
« Ma 403 Peugeot marche comme les affaires de la ville » signifie par exemple qu’elle pourrait bien vite finir à la casse, et un postillonnant « ça marche comme les affaires de la ville » en réponse à « comment ça va la p’tite santé ? » laisse présager du pire. Autrement dit quand ça marche comme les affaires de la ville ça déconne à pleins tubes.
Les hypothèses sur la cité d’où provient l’expression sont légions.
Partout où l’édile a tapé dans la caisse, où le bourgmestre a confondu trésor public et larfeuille personnel, où les impôts locaux ont rassasié les grosses légumes du coin, a pu surgir marcher comme les affaires de la ville. Du moindre hameau de France à la plus lumineuse des cités en passant par les sous-préfectures de province, il se susurre que c’est ici qu’est née la litote aristarque.
Romorantin ? Pithiviers ? Nul ne sait où est née l’expression
Aucune étude sérieuse ne permet pourtant d’affirmer que le berceau est situé au Nord ou au Sud, que la ville en question est de garnison ou de villégiature, permettant ce faisant à chacun d’imaginer qu’il habite, au choix, une cité des anges ou de tous les vices.
C’est ce flou qui fera le succès de la critique contenue.
À Romorantin on pourra dire que ça marche comme les affaires de la ville en imaginant Pithiviers dans le pétrin, à Cherbourg on jettera sans le dire l’opprobre de l’expression sur Toulon. Et si l’on vise le fauteuil de premier magistrat aux prochaines élections on fera un usage intensif de marcher comme les affaires de la ville pour tancer la bien piètre efficacité de l’exécutif aux manettes.
Le moderne préférant réussir dans les affaires plutôt que dans l’ironie, il rendra bientôt caduque ces choses publiques qui ne l’intéressent guère.
Ça marche comme les affaires de la ville n’éveille plus aucune suspicion dans l’esprit de celui qui l’entend usitée. Ce qui a par ailleurs peu de chance de se produire puisque tout fonctionne désormais à merveille.
S‘il est quelque chose que l’époque surannée abhorre c’est bien la demi mesure dans l’effort. Le cossard est chambré, le ramier chariboté.
Fruit du temps qui a passé, et modeste consolation pour le (la) concerné(e), l’expérience tend parfois à se mettre en valeur histoire de rappeler au jeunot que ce n’est pas au vieux singe qu’il apprendra à faire des grimaces.