Ne pas être sorti de l’auberge [nə pa ɛtʁ sɔʁti də lobɛʁʒ]

Fig. A. Une bien agréable auberge. France.

[nə pa ɛtʁ sɔʁti də lobɛʁʒ] (loc. emmer. HÔT.)

Il est des auberges d’où l’on aimerait ne jamais sortir : celles à nappe à carreaux, où le vin coule doux et la terrine est maison. Celles où l’on a son rond de serviette. Celles où l’on peut prolonger les agapes d’une sieste réparatrice.

Et puis il y a cette auberge. Celle de l’expression. On y est entré mais on n’en sort pas, ou alors très abîmé, ou très tard, ou les deux.

Ne pas être sorti de l’auberge, c’est être empêtré jusqu’aux rotules – voire au cou – dans une situation compliquée, pleine d’embûches, de délais, de paperasses et d’imbroglios. De merde, quoi. C’est être au début d’un tunnel long comme un jour sans pain, avec pour seul éclairage la promesse ironique d’une sortie à Pâques ou à la Trinité, quand les poules auront des dents.

L’auberge en question n’est pas un relais pittoresque ayant gagné des étoiles au Michelin à force de talent culinaire : c’est le lieu de la galère, du tracas sans congés, du projet qui patine. Qu’il s’agisse de travaux de plomberie, de formulaire officiel à remplir en trois exemplaires ou d’une discussion sur le sexe des anges, on perçoit à quelques signaux subtils qu’on n’est pas sorti de l’auberge. Explications bidons, procédures kafkaïennes, arguments abscons obstruent le chemin vers la sortie.

L’expression tire probablement son origine des argots carcéraux ou hospitaliers du XIXᵉ siècle, quand l’auberge désignait ironiquement la prison ou l’hôpital. Des lieux où l’on séjournait bien malgré soi, et dont la sortie dépendait rarement du bon vouloir du villégiateur.

— Alors, t’en as pris pour combien ?
— 20 ans.
— Ah ouais. T’es pas sorti de l’auberge…

À noter que l’expression peut se teinter d’un humour plus ou moins acide selon le ton : compatissant chez l’ami solidaire, narquois chez le collègue qui vous l’avait bien dit. L’auberge est donc un endroit où l’on est coincé, physiquement ou métaphoriquement, avec un horizon bouché et du temps à perdre en lamentations. L’important n’est pas ce qu’on y mange, mais qu’on n’en sort pas.

En janvier 1977 ne pas être sorti de l’auberge rate de peu la postérité.

Malheureusement pour elle, Don Felder, Don Henley et Glenn Frey décident d’intituler leur titre Hotel California plutôt que Mexican Reggae ou Pas Sorti de l’Auberge. Un tube métaphore sur l’enfermement et les prisons dorées qui connaîtra un destin planétaire et contribuera largement au taux de natalité en devenant la référence du slow dans les boums (mais ceci est une autre histoire).

L’expression s’étiolera d’ailleurs au même rythme que le quart d’heure américain avec ses chansons pour ados en émoi.

Le moderne est désormais rarement perdu dans les méandres d’une auberge fermée à double tour. Il est dans un workflow chaotique, une to-do list impossible, un backlog ingérable. Et il n’a pas embrassé sur Hotel California. Il n’a donc que faire de cette hôtellerie sans sortie quelque part sur une sombre autoroute traversant le désert.

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