Courir deux lièvres à la fois [ku.ʁiʁ dø ljɛvʁ‿a la fwa]

Courir deux lièvres à la fois

Fig. A. Les lièvres et le moderne.

[ku.ʁiʁ dø ljɛvʁ‿a la fwa] (lago. FOL.)

Dans la grande tradition des expressions sylvestres où la métaphore se taille à l’Opinel dans le bon sens populaire, courir deux lièvres à la fois est un classique.

Une mise en garde lapino-pragmatique contre les velléités du cœur, de l’ambition ou du caprice. Une recommandation de chasseur sachant qu’il vaut mieux chasser sans son chien que sans modération.

Le lièvre, animal vif, rapide et farceur, symbolise l’objectif difficile à atteindre, l’opportunité qui détale sitôt aperçue, le but séduisant mais filou. Alors évidemment, en courir deux à la fois c’est faire preuve d’un optimisme qui confine à la naïveté d’un perdreau de l’année. Une tentative doublement vouée à l’échec, car pendant qu’on zigzague derrière l’un, l’autre a déjà pris la poudre d’escampette.

La Fontaine qui n’était pas né de la dernière gibecière, nous avait déjà prévenus avec sa fable du Lièvre et de la Tortue : rien ne sert de courir, il faut partir à point. Mais encore faut-il savoir après qui l’on court. Le lièvre seul, à la rigueur. La tortue, pourquoi pas, pour les plus fainéants. Mais deux lièvres en même temps : impossible. « Et malheur à celui qui voudra prendre en chasse tout le règne animal en même temps, car il finira Gros-Jean comme devant » aurait-il pu moraliser.

Courir deux lièvres à la fois, c’est vouloir tout, tout de suite : la gloire et l’argent, la maîtresse et la paix du ménage, le pain et le couteau, le beurre et la crémière (et peut-être un peu plus mais ceci est une autre histoire). C’est s’imaginer que l’on peut, par la seule force de sa volonté, attraper l’inattrapable à la force des mollets.

En matière de cœur¹, c’est jouer au funambule sur une corde savonneuse. Le galant indécis, tiraillé entre deux flammes, croit pouvoir ménager l’une sans froisser l’autre, jongler entre la brune piquante et la blonde sucrée, la stable et la fantasque, la tendre et la volcanique. La rumeur, cruelle comme un colporteur de village, ne tarde pas à lui coller une étiquette : Don Juan de bas étage, chaud lapin ou pire encore, fornicateur comme un lapin.

Désormais multitâches grâce aux nombreux auxiliaires électroniques turbinant sur son téléphone intelligent, le moderne s’est mis en tête de poursuivre tous les lagomorphes lui tombant sous la main. Comme le Lapin blanc², il court, il court, et il est en retard. Il finira aussi fou que le Lièvre de mars². Essoufflé et bredouille.

¹Ou de cul.
²Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, Lewis Caroll. 1865.

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