
Fig. A. Pompiste de nuit à Barbès.
[fɛʁ sɔ̃ tʃa.o pɑ̃.tɛ̃] (loc. ciné. TRAGI.)
Dans le grand théâtre de la carrière artistique, il est un virage que seuls les plus audacieux osent négocier : celui qui mène du comique au tragique, de la gaudriole au gravier. Ce moment-là, délicat, risqué, vertigineux, a son expression surannée : faire son Tchao Pantin.
L’origine en est limpide comme une larme : 1983, Coluche, clown sacré de la vanne à la française, roi du bide à rayures, enfile un bleu de chauffe, traîne sa carcasse dans les rues froides d’un Barbès pluvieux, et devient Lambert, pompiste taciturne et abîmé, dans un film de Claude Berri qui marquera à jamais les esprits.
Tchao Pantin, c’est le choc. Coluche décroche un César, le public se prend une claque. L’acteur, lui, passe du rire aux larmes avec maestria.
Et depuis, faire son Tchao Pantin désigne cette mue artistique spectaculaire : l’abandon du nez rouge au profit du regard éteint, le passage du bon mot à la plaie ouverte. C’est le moment où le rigolo se mue en tragédien, où le clown montre qu’il sait pleurer aussi bien que faire rire. Ce que l’on croyait caricature se révèle alors profondeur. C’est le grand saut.
Ceux qui font leur Tchao Pantin ne manquent pas d’audace. Il faut du cran pour s’y coller car tous ne survivent pas à la transition. Le truc n’est pas à la portée du premier raconteur de blagues pourries venu, du manieur de coussin péteur ou de l’auteur du « Lâcher de salopes ». Si la reconversion échoue, si l’on manque son virage tragique, on ne devient pas Lambert… mais un guignol sans public. Ce qui est autrement plus douloureux.
Car là réside tout le piège de l’expression : elle ne se décrète pas, elle se mérite grâce au talent. La rédemption dramatique ne s’achète pas avec du pathos et de la bouffissure déclamatoire. Il faut que le jeu soit juste, que la blessure soit sincère, que le masque tombe avec grâce.
Un gag man qui devient tueur paumé ? Il fait son Tchao Pantin. Une star des plateaux télé qui décroche un rôle dans un film d’auteur ? Elle tente son Tchao Pantin. Un chroniqueur radio devenu ombre muette dans un huis clos scandinave ? C’est peut-être un Tchao Pantin.
Faire son Tchao Pantin, c’est se griller les ailes pour briller autrement.
C’est espérer que derrière les rires, il y ait encore assez d’humanité pour faire pleurer.
C’est s’offrir tout entier au regard du spectateur, dans ce qu’il a de plus cruel et de plus vrai. On ne rit plus, on s’émeut, on respecte.
Faire son Tchao Pantin demeure un exploit rare : un moment de bascule, une vérité nue, une claque qui fait taire les rires. Un adieu à la facilité.
Et un salut à l’humanité (et ça aussi c’est suranné).