Être frais comme un gardon [ɛtʁ fʁɛ kɔm œ̃ gaʁdɔ̃]

Une femme pas très fraîche, certainement le lendemain d'une fête. Elle est attablée devant deux verres.

Fig. A. Bambocharde plus très fraîche.

[ɛtʁ fʁɛ kɔm œ̃ gaʁdɔ̃] (loc. pisci. POISS.)

Il fut un temps où le gardon, modeste poisson d’eau douce, jouissait d’une réputation enviable.

Non pas qu’il fût recherché pour sa chair, délicate mais bardée d’arêtes perfides, ni qu’il eût marqué l’histoire par une quelconque prouesse aquatique, le poiscaille se contentant de frayer entre deux eaux. Non, si le gardon s’inscrivait alors dans le patrimoine lexical, c’est grâce à une qualité toute simple : sa fraîcheur. Et le poisson frais c’est important, ce n’est pas François Vatel qui prétendra le contraire.

De l๠naquit l’expression être frais comme un gardon, employée pour désigner celui ou celle qui affiche une mine éclatante, une énergie débordante, et un teint plus vivace que les joues d’un premier communiant un matin de Pâques. Point d’analogies douteuses avec le maquereau fatigué ou la sardine avariée : le gardon, lui, incarne la vigueur, la pétillance, la santé insolente.

Elle le sait bien la poissonnière qui beugle sur le marché, enjouée dès le petit matin, « qu’il est frais mon gardon, il est frais mon poisson ! ».

L’expression trop gentille s’est teintée cependant d’une nuance ironique certainement posée par quelques bambochards lucides sur l’égarement de leur regard similaire en tous points à celui de la poissonnaille capturée.

Celui qui proclame être frais comme un gardon après une nuit blanche passée à refaire le monde au comptoir d’un troquet douteux n’est souvent guère plus fringant qu’un poisson abandonné sur l’étal d’un marché en plein mois d’août².

La pêche en rivière perdant peu à peu ses adeptes, l’expression s’effacera, éclipsée par les nettement plus modernes « au taquet » ou encore « on fire » (en angliche dans le texte). Mais rendons-lui justice : nulle formule ne saura jamais évoquer avec autant de poésie et de simplicité la fraîcheur d’un individu que ce brave petit poisson.

Qu’il nage en paix, dans les eaux tranquilles du langage oublié.

¹De la fraîcheur hein, pas du suicide de Vatel.
²Haleine incluse.

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