
Fig. A. Spaghetti al dente.
[avwaʁ lø ky bɔʁd dø nuj] (LOC. CULIN. CHANC.)
S‘il est des expressions dont l’on devine le sens à leur seule sonorité, avoir le cul bordé de nouilles déroute d’emblée.
L’image est triviale, la syntaxe saugrenue, et pourtant, l’ensemble fonctionne à merveille pour désigner l’individu béni des dieux du hasard, ce veinard insupportable à qui tout sourit et qui traverse l’existence en esquivant les ornières où le commun des mortels s’embourbe avec constance.
D’où vient donc cette locution qui fleure bon l’argot gouailleur et le troquet enfumé ? L’affaire est nébuleuse, mais on la soupçonne de remonter aux premières décennies du XXᵉ siècle, époque où les pâtes, bien avant d’être l’aliment de l’étudiant fauché, étaient synonymes d’aisance et de prospérité. Ainsi se nourrir de nouilles signifiait-il mener une vie confortable loin du pain sec et de la misère.
Quant à leur positionnement singulier dans l’anatomie postérieure de l’intéressé, il s’agirait là d’une exagération toute française, une manière imagée d’exprimer l’abondance outrancière dont jouit l’individu en question. Avoir des nouilles plein l’assiette passe encore; en avoir jusque sous le séant, voilà qui relève du luxe déplacé, du privilège insolent d’une existence cousue de fil d’or. Seul le bien né sous la meilleure étoile peut se permettre de posséder tellement de spaghetti qu’il s’y vautrera et s’arrosera en sus de sauce tomate et de parmigiano.
Avoir le cul bordé de nouilles, c’est donc bénéficier d’un destin qui s’acharne à bien faire, d’un hasard qui distribue ses faveurs avec une partialité flagrante. A le cul bordé de nouilles cet homme qui trouve un billet de cent francs dans la rue alors qu’un autre vient, lui, de perdre son portefeuille. A aussi le séant vautré dans les fusilli lunghi al dente ce joueur qui rafle la mise au casino alors qu’il ne connaît même pas les règles du jeu. Et l’égrillard de l’expression de souligner avec emphase l’indécence de la situation.
Qui s’imaginerait veinard avec deux ou trois paquets de coquillettes jambon dans le falzar ?
A bien y regarder la chose pourrait ne pas sembler si confortable. Qui s’imaginerait veinard avec deux ou trois paquets de coquillettes jambon dans le falzar ? Quel bien loti s’accommoderait d’une plâtrée de pappardelle débordant de son slip kangourou ?
La langue moderne, soucieuse de bienséance et de polissage, a supplanté l’expression par des formules plus sages, mais aucune n’a su égaler la franchise truculente du cul bordé de nouilles. Alors que le destin continue de se jouer des hommes, l’extravagance de la baraka fait désormais dans la mesure. « 100% des gagnants ont tenté leur chance » assure-t-il au rétamé de la roulette. « Heureux au jeu, malheureux en amour » proverbialise-t-il histoire de calmer les ardeurs du flambeur. On conviendra que c’est nettement plus propre.