Manger la soupe sur la tête de quelqu’un [mɑ̃ʒe la sup syʁ la tɛt dø kɛlkœ̃]

Un faux tableau de Magritte avec de la soupe au-dessus de la tête d'un homme.

Fig.A. Manger la soupe sur la tête de quelqu’un.

[mɑ̃ʒe la sup syʁ la tɛt dø kɛlkœ̃] (LOC. DEPREC. TAIL)

Puisque chez ces gens là la taille a toujours compté¹, allant jusqu’à s’avérer marqueur social – plaçant le noble au-dessus du roturier et le colosse au-dessus du gringalet –, elle s’est sans surprise glissée dans la langue en faisant des grands slurp pour produire quelques images savoureuses.

Manger la soupe sur la tête de quelqu’un en est une parfaite illustration : une expression où la supériorité de l’échalas se conjugue avec une pointe de moquerie bien sentie (pour le petit).

L’image est éloquente. Imaginez un grand gaillard faisant face à un individu plus court sur pattes. La différence est telle qu’il pourrait poser son bol sur son crâne et tranquillement y tremper sa cuillère, sans même que l’autre puisse protester. Une façon congrûment condescendante d’indiquer que l’un dépasse largement le courtaud, non seulement en centimètres, mais aussi en autorité ou en prétention. Et ça f’rait des grands slurp, et ça f’rait des grands slurp.

On soupçonne cette locution d’avoir émergé dans les campagnes où la soupe tenait lieu de repas quotidien et où l’on ne manquait jamais d’une bonne pique pour taquiner ses proches. Imaginez la scène : autour d’une grande table en bois, un frère aîné, du haut de sa stature avantageuse, regarde son cadet et lance, moqueur : « Dis donc petit Poucet, avec ta taille, je pourrais presque manger ma soupe sur ta tête ! ». Rires de l’assemblée, mine renfrognée du petit, et voilà comment une simple boutade aurait pu s’ancrer dans la langue populaire, passant du cercle familial aux comptoirs des bistrots².

Il est aussi possible qu’ailleurs dans l’histoire quelques illustres figures aient pu inspirer l’expression.

« Napolionne is a little Boney »
— Horatio Nelson

Napoléon Bonaparte, dont la légende a autant retenu les batailles que la taille aurait sûrement été la cible idéale d’un Nelson gouailleur si celui-ci avait jacté la langue de chez nous. Mais l’Amiral, du haut de sa colonne corinthienne de 44 mètres³, se contentait d’un little Boney pour parler de l’empereur et lui faire savoir qu’il pouvait lui manger la soupe sur la tête.

Quant à Louis XIV, perché sur ses hauts talons rouges, il était trop méfiant envers ces courtisans bien prompts à exagérer leur stature histoire de goûter la bonne soupe de la cour pour se la faire servir sur leur perruque.

Autrefois largement employée pour railler les courts-sur-pattes, l’expression s’efface peu à peu du langage moderne. C’est qu’on ne se moque plus des petits gabarits ni des grands dadais (du moins officiellement). Et le goût pour les images pittoresques se perd dans une époque où l’on préfère la jouer profil bas plutôt que de filer la métaphore gastronomique et salée.

Néanmoins, dans un troquet de campagne ou un repas de famille il restera toujours un vieil oncle en verve ou un patron de bistrot pour lâcher, face à un géant dépassant tout le monde d’une bonne tête : « Hé, mon gars, c’est pas demain qu’on pourra te manger la soupe sur la tête ! ».

C’est grâce à eux que l’expression continuera peut-être à mijoter encore un peu.

¹Il s’agit ici de la taille de la tête aux pieds bien entendu, pas quelque autre organe que ce soit.
²Notons que cette même famille se trouvera plus tard au cœur d’une autre histoire et passera d’ailleurs à la postérité pour celle-ci.
³Trafalgar Square, Cité de Westminster, Londres.

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