[avwar lé dâ ki ruj] (loc. fer. FAIM.)
Tandis que les canons de la beauté ne faisaient pas dans la sylphide mais plutôt dans l’abondance – les maîtres couchant à qui mieux mieux sur la toile des Vénus callipyges alanguies – l’assiette sans gras et le tout cuit vapeur étaient si effrayants que le fait de ne pouvoir suffisamment manger possédait une incongrue expression surannée.Le régime sans pain ou pire la famine utilisaient en effet avoir les dents qui rouillent pour rendre compte, via l’état dentaire, du manque de victuailles et des repas de rien. Satiété mal ordonnée commence par avoir l’estomac qui gargouille et finit par avoir les dents qui rouillent, en quelque sorte, soit une ultime étape équivalant à faire patatrot sur le grand trimard.
En ce pays de France où le repas est une cérémonie servie par l’art du cuisinier, ne pas manger est autant inenvisageable que l’oxydation par corrosion d’un matériau non ferreux, l’ivoire en l’occurence.
Quelle que soit son hygiène bucco-dentaire le vulgum pecus d’avant l’Ultrabrite® protection fluor (ultra blancheur, ultra fraîcheur) et son sodium monofluorophosphate, sait qu’il est bien impossible d’avoir les dents qui rouillent et signifie son désarroi immense face à la faim qui le taraude en créant une telle locution.
Notons que par opposition le rassasié aura les dents du fond qui baignent après le menu entrée-plat-dessert-fromage-café et pousse café, sans que ce bain ne compromette l’émail de ses ratiches alors que tout un chacun sait que l’humidité annonce la corrosion.
C’est l’inaction mandibulaire et maxillaire qui fait rouiller les dents et elle seule.
❝ On a les dents qui rouillent !
On a les dents qui rouillent ! ❞
Si la dernière grande famine française de 1788 entraînera un usage immodéré d’avoir les dents qui rouillent, la locution ne tombera pas en désuétude une fois les petits plats remis dans les grands. Elle évoluera non sans humour vers une forme d’annonce de fringale et d’empressement à la restauration s’adressant le plus souvent à la maîtresse de maison ou à l’administration cantinière.
« On a les dents qui rouillent ! On a les dents qui rouillent ! » scandent ainsi, dans les années 70, les élèves affamés de l’école Jean Macé tout en frappant les tables de la cantoche d’un rythme cadencé. L’arrivée trop tardive de la purée-jambon ne fera que nourrir leur ressentiment et la révolte des dents rouillées se terminera en envoyant la purée (mais ceci est une autre histoire).
Les progrès de l’odontologie moderne et la nécessaire autorité devant accompagner ses praticiens en blouse blanche (ou verte, selon les goûts et les couleurs) obligeront avoir les dents qui rouillent à battre en retraite et à finir désuète.Le crève-la-faim contemporain n’ayant pas pour autant disparu¹, il sera néanmoins prié de faire connaître son appétit en des termes moins surannés.
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