Expression surannée pour évoquer la Grande Faucheuse avec une moue compatissante et un haussement d’épaule fataliste

Fig. A. Sophie.
[sɔ.fi tuʁnə də l‿œj] (METAPH. MORT.)
On a eu beau passer l’arme à gauche depuis la nuit des temps, la faucheuse n’a pas toujours débarqué en grande pompe avec son cortège de chez Borniol, ses pleureuses médiatiques empressées de balancer une photo du défunt à leurs côtés histoire de souligner combien elles sont des personnes importantes, ou ses fleurs en plastique de deuil.
Il lui arrivait de survenir, discrète, dans un silence de chambre tiède, et l’on disait alors sobrement Sophie tourne de l’œil pour signaler qu’elle avait fait son office. Comme si ce n’était qu’un petit malaise passager, une absence, une légère lassitude du corps à partager encore un instant avec l’âme.
Bien entendu on ne parle pas ici de la Sophie du village ni de celle du marché du jeudi. Et Sophie la girafe, « star incontestée des dents capricieuses et des bébés curieux depuis des générations », n’existe pas encore dans ces temps d’il y a un moment.
Sophie, c’est une entité vague, un personnage de comédie douce-amère qui représente le moment où l’existence prend congé sans tapage. Sophie ne meurt pas : elle tourne de l’œil. À la rigueur, elle glisse dans l’évanouissement éternel avec grâce, sans bruit ni tragédie. À peine une ombre sur le rideau.
Il se murmure que cette Sophie n’est autre que la cousine éloignée de Margot (qui met les voiles), de Paulette (qui ne reviendra pas), et de Tonton Léon (qui a passé l’arme à gauche). On lui doit cette élégance désuète de ceux qui prennent congé sans prévenir, à la faveur d’un courant d’air ou d’un excès de pot-au-feu.
— Tu l’as vue dernièrement, Mme Brochant ?
— Ah ben non… Sophie a tourné de l’œil, qu’ils m’ont dit.
La formule a cet avantage de ne pas faire pleurer. Elle épargne les enfants, les âmes sensibles, et les veuves encore fraîches. Elle dit la chose sans la dire, comme un au revoir sans rendez-vous. Salut Sophie, à la revoyure.