Avoir la langue en dentelle de Calais [a.vwaʁ la lɑ̃ɡ ɑ̃ dɑ̃.tɛl də ka.lɛ]

L’art de l’insulte en soie et du compliment vénéneux

Fig. A. La marquise de Brinvilliers.

[a.vwaʁ la lɑ̃ɡ ɑ̃ dɑ̃.tɛl də ka.lɛ] (IMAG. LANG.)

On connaît la langue de vipère, trop brute. La langue de bois, trop lisse. La langue bien pendue, trop bruyante. Mais entre toutes, il est une langue plus rare, plus subtile, plus dangereuse aussi : la langue en dentelle de Calais.

C’est une langue qui blesse sans heurter, qui pique avec grâce, qui effiloche la dignité d’autrui tout en feignant de l’enrober. Ce n’est pas une parole frontale. C’est une broderie, une attaque feutrée, ourlée de sourires, si bien cousue qu’on la remercie presque tandis que l’on perd sa dignité et son sang.

Née après la dentelle de Calais, produit de haute tradition textile française, est célèbre pour sa finesse, sa régularité, sa beauté fragile mais résistante, avoir la langue en dentelle de Calais évoque donc une élocution à la fois précieuse et précise, capable de dire l’indicible avec une élégance qui frôle le poison de salon. On est dans l’art de la marquise de Brinvilliers qui travaillait à l’arsenic et à la bave de crapaud, soit les deux parfaits ingrédients pour malmener élégamment.

C’est d’ailleurs à cette dernière que l’on prête la tournure, même si l’histoire a avant tout retenu l’assassinat de son père et de ses deux frères pour de sombres histoires de pépètes¹ (en plus de ceux de toute les nobliaux en leur faisant compliment sur compliment, jusqu’à ce qu’ils s’effondrent d’estime).

Ce tailleur est audacieux. Il fallait oser. Et vous l’avez fait.

Avoir la langue en dentelle de Calais c’est dire, tranquille Mimile, « Ce tailleur est audacieux. Il fallait oser. Et vous l’avez fait. » ou encore « Elle a cette fraîcheur des visages qui ne connaissent pas l’angoisse du miroir. ». C’est aussi balancer « C’est une idée… originale. J’ignore si c’est heureux, je n’en ai pas la compétence, mais c’est original. ».

La dentelle est là, dans le sourire discret, dans le ton qui ne varie pas, dans la syntaxe parfaite qui vous désarme, et dans l’élégance avec laquelle on vous roule dans la farine la plus fine de l’ironie sociale.

Avoir la langue en dentelle de Calais, ce n’est pas se moquer. C’est réactiver l’art perdu de la pique mondaine, de la parole ciselée, de la vanne à double étage — celle qui se déploie lentement, comme une traîne de robe, et qui laisse un long sillage d’inconfort parfumé.

C’est l’arme des salons, des dîners trop longs, des conseils d’administration feutrés, des échanges de trop bon aloi. Là où l’on ne peut pas mordre, on brode. Et parfois, ça fait bien plus que mal.

Dans une époque où tout se dit à coups de majuscules et d’émojis en feu, la dentelle eût été un acte de civilisation. Pour résister à la brutalité immédiate par la finesse élaborée.

Las, cette élégance est surannée.

¹Elle finira décapitée en place de Grève le 17 juillet 1676.

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