
Fig. A. Main de jardinier.
[avwaʁ la mɛ̃ vɛʁt] (METAPH. AGRIC.)
Le joueur aura la main tout simplement. Le cogneur l’aura leste et sa victime courante. Le généreux sur le cœur. Le vicelard baladeuse. Le patineur l’aura jaune. Et ce n’est pas le peintre un peu brouillon qui aura la main verte.
Avoir la main verte c’est appartenir à une caste; une catégorie plutôt rare d’individus pour qui toute graine jetée dans la terre se transforme en plante majestueuse, pour qui les cactus épineux se muent en rosiers parfumés et l’orchidée la plus capricieuse finit par ouvrir ses pétales comme un petit bonheur.
Mais que l’on ne s’y trompe pas : cette mystérieuse couleur chlorophyllienne n’a rien de naturel. La main verte n’est pas un don de naissance, comme le nez busqué ou les taches de rousseur. Elle s’acquiert par une lente initiation au monde des racines et des tiges, par des heures passées à observer la moindre feuille flétrie et à murmurer des mots doux aux capucines en détresse.
Avoir la main verte c’est aussi une attitude, un savoir-faire instinctif, une intuition de jardinier qui sait quand arroser, quand tailler, quand patienter. Et surtout, quand cesser d’acharner sur une plante récalcitrante pour la laisser reprendre goût à la lumière par elle-même.
Il est fort probable que l’origine de cette tournure se trouve dans les prés et les potagers d’antan, quand les belles des champs baguenaudaient dans les pâturages¹, quand l’homme et la nature négociaient leur entente sans pesticide ni engrais chimique. Les mains enfouisseuses et fouineuses passaient du noir de terre au vert de ses récoltes; le suranné adore faire dans le symbolique, ça fait savant. Notons que malgré cette origine maraîchère, avoir la main verte n’implique pas de la mettre au panier dans la foulée : encore un faux ami…
Le moderne, lui, ne se sert que de son pouce connecté et on dirait que ça le gène de marcher dans la boue (et il vit sans jamais voir un cheval, un hibou, mais ceci est une autre histoire). Ses plantes, il les achète déjà vertes et presque éternelles, garanties sans arrosage pendant trois mois, voire artificielles pour éviter tout échec cuisant. Avoir la main verte ne lui servirait qu’à tacher son écran, l’unique objet de son attachement².
Mais que l’exodé du rural prenne garde : en cas d’effondrement (ou de re-confinement) celui qui a la main verte sera roi des salades et des tomates bien mûres, pendant que le reste de la populace mangera son chapeau (ou un cuissot de surmulot, le gaspard revenant sur l’étal à chaque fois que la courgette se fait la malle).