
Fig. A. Quand le barbacole siffle la fin de la récré.
[siflɛʁ la fɛ~də la ʁekʁe] (scol. BORDEL.)
C’est une image sonore gravée dans les tympans de générations d’écoliers : ce coup de sifflet strident, tranchant l’air comme une injonction supérieure, annonçant que les hostilités enfantines de la cour de récréation doivent prendre fin sur l’heure.
Le « t’ar ta gueule à la récré » est repoussé. Les comptes devront se régler plus tard.
L’arbitre n’est autre que le vieux barbacole, sifflet en bouche et regard perçant, remettant chacun à sa place d’un seul coup de ce vent disciplinaire.
Siffler la fin de la récré, c’est faire cesser les amusements. C’est annoncer, sans détour et avec autorité, que les choses sérieuses reprennent. Que l’heure de la rigolade est terminée. Et, accessoirement, que les billes, les osselets, et les cartes Panini doivent regagner les poches. Qu’il est à nouveau l’heure de remplir des baignoires à fuites, de faire partir des trains de Limoges qui en croiseront d’autres à 8h37 (mais à quelle heure, diable, seront-ils partis de la gare d’Austerlitz ?), de faire la différence entre un fleuve et une rivière, de parcourir les tables de multiplication.
Ce que l’on sait moins, c’est que l’expression a rapidement quitté la cour d’école pour gagner les cercles du pouvoir, les réunions houleuses, les débats politiques et les conflits syndicaux.
Celui qui siffle la fin de la récré c’est celui qui tranche
Celui qui siffle la fin de la récré devient celui qui tranche, qui décide, qui met fin à la chienlit ou au foutoir ambiant. Le préfet qui disperse une manifestation en chantant les articles du Code, le directeur qui interrompt les chamailleries de bureau, l’aïeul excédé par un dîner familial en train de virer en foire d’empoigne pour cause de beaux-frères de gauche et de droite : tous sifflent la fin de la récré, sans forcément avoir le sifflet mais au moins en coupant celui des fortes têtes.
La fin de la récré c’est donc la fin d’un moment de liberté exacerbée, le retour au rang, aux règles, au programme. C’est le temps de l’ordre, et ça ne fait jamais rire personne (sauf le surgé et le pion, peut-être).
L’expression, devenue arme rhétorique de la gouvernance permet de faire preuve d’autorité sans recourir à de plus grands mots. Elle suffit à faire comprendre que le temps des bisbilles et de l’indulgence est révolu. Elle donne à celui qui l’emploie l’apparence d’un justicier en blouse grise, remettant de l’ordre sans sortir le martinet.
Dans la modernité managériale, plus question de siffler. Désormais on synchronise, on recentre, on relance les énergies collectives autour d’un objectif structurant. Le sifflet est passé de mode et l’arbitre a été invité à se rendre aux toilettes rapidement.
Que le moderne qui n’a jamais rêvé, face au tumulte ambiant, de siffler la fin de la récré, juste pour retrouver un peu de calme, juste pour respirer, lui jette la première pierre.
On a tous un peu de pion en nous.