Se torcher le cul avec un boulon [sø tɔʁʃe lø ky avɛk œ̃ bulɔ̃]

Fig. A. Manoeuvre s’en torchant le cul avec un boulon.

[sø tɔʁʃe lø ky avɛk œ̃ bulɔ̃] (LOC. MEPRIS. CROT.)

Il est des expressions qui par leur seule évocation provoquent une réaction immédiate.

Se torcher le cul avec un boulon appartient à cette famille où l’incongruité le dispute à la cruauté visuelle. Il faut dire que l’image est éloquente : s’essuyer le séant souillé avec un objet aussi inadapté qu’un boulon, c’est l’assurance d’une expérience pour le moins désagréable, voire douloureuse.

Avec cette métaphore en acier trempé, le torché tient avant tout à souligner le degré paroxysmique de je-m’en-foutisme qui l’anime. On se torche le cul avec un boulon comme on se moque éperdument d’une consigne, d’une règle, d’un document officiel ou d’un avis donné avec trop d’importance. Là où un simple « je m’en tamponne le coquillard«  manquerait presque d’impact (c’est dire !), se torcher le cul avec un boulon introduit une dose de mépris mécanique qui enfonce le clou. Et à cet endroit, ça fait mal.

Si l’on en croit son usage, l’expression est particulièrement appréciée des ouvriers du verbe fleuri, des mauvais coucheurs et des individus rétifs à l’autorité. Elle est la réplique parfaite du rebelle à l’alinéa 32 du règlement absurde, du révolté à une loi inutilement pompeuse, ou encore de l’insubordonné à une remarque qui aurait mérité de rester en suspens plutôt que d’atteindre ses oreilles.

Bien que le boulon et sa tige filetée soient l’invention du grec Archytas de Tarente deux cents bonnes années avant J-C, l’expression, elle, semble émerger dans le langage ouvrier en pleine révolution industrielle, quand les boulons sont plus fréquents que le papier toilette et que l’on ne s’embarrasse pas de formules trop policées pour exprimer son opinion. Sueur et labeur autorisent alors l’ironie cinglante lorsque survient une situation où l’on doit faire avec ce qu’on a sous la main et que ça fait vraiment chier. Un contremaître bâté à envoyer péter, un chef infatué qui veut cheffer en serrant la vis et le manœuvre sort le boulon.

Notons que si le papier toilette avait été inventé avant le boulon¹ le sarcasme de l’expression en eut été nettement moins sévère et la langue d’alors sans saveur (se torcher le cul avec du papier toilette n’étant après tout qu’une stricte réalité).

Si l’expression a connu le succès qu’on lui sait, c’est parce qu’elle résume en sept mots bien sentis un mépris total, avec une puissance d’image que peu d’autres formules peuvent égaler. Aujourd’hui, elle se fait plus rare dans la conversation courante puisque désormais la langue impertinente fait dans la dentelle ou dans le sordide.

Se torcher avec un boulon est devenu un acte sensible.

¹La première machine à fabriquer des boulons a été fabriquée en France en 1568 alors que le brevet du papier toilette en rouleau date de 1891.

Laisser un commentaire