[se fèr tiré le pòrtré] (loc. art. PHOT.)
Contrairement à ce que le savantasse détenteur d’un téléphone intelligent¹ pourrait croire, Joseph Nicéphore Niépce et Louis Jacques Mandé Daguerre ne furent pas les inventeurs de l’expression se faire tirer le portrait.
Le Narcisse moderne qui se passionne pour ses autoportraits flatteurs dont il parsème les réseaux cybernétiques comme autant d’appels à l’admiration en un clic ferait même preuve d’une suffisance finalement insuffisante en affirmant cela.
Et pour cause : on se fait tirer le portrait depuis le Moyen-Âge, quand tirer signifiait alors dessiner² (tout comme portraire d’ailleurs, mais on n’est pas à une pléonasme près en ces temps pourtant éloignés du jour d’aujourd’hui).
On pourra par exemple affirmer que Léonard de Vinci tira Mona Lisa
On pourra par exemple affirmer que Léonard de Vinci tira Mona Lisa, sans faire la moindre faute de goût ou de français, tout comme on pourra – par pure facilité – allonger la sauce en reprenant que la grand maître lui a tiré le portrait sans pour autant avoir inventé la technique de représentation de la réalité et de reproduction d’images à l’aide de procédés fondés sur des réactions chimiques à la lumière et de moyens optiques³.
Ainsi, sans nier l’apport de Nicéphore et l’indéniable talent des Cartier-Bresson, Doisneau, Capa et Man Ray – parmi tant d’autres – aucun n’est l’initiateur de se faire tirer le portrait.
En 1934 Germaine Hirschfeld, dite Cosette Harcourt, donnera ses lettres d’excellence à se faire tirer le portrait en travaillant les clairs-obscurs autour des visages du Tout-Paris, rendant harmonieux un nez patate ou sublimant une dentition briquée à l’Ultra-Brite®. Se faire tirer le portrait au studio Harcourt deviendra un passage obligé pour qui entend laisser à la postérité une image sublimée.
La prise en main par l’administration moderne du cliché apposé sur papiers d’identité et la stricte interdiction d’y esquisser un sourire sous peine de refus d’obtention de la dite identité dûment validée auront raison de se faire tirer le portrait.
L‘expression passera d’une forme d’art à celle d’une réalisation à la petite semaine puis disparaîtra docilement sous les coups de boutoir des photographies numériques à scintillements augmentés, des ajouts d’oreilles de lapin pour faire marrer les copains, des filtres trompeurs laissant penser au gogo que l’aura se trouve dans le postiche.
Faire un selfie ne comblera pas le vide laissé par se faire tirer le portrait, sa fréquence d’usage s’avérant incompatible avec le temps de pose et celui du développement.