
Fig. A. Mec des mecs.
[lø mɛk de mɛk] (ARG. DIEU.)
Dans le grand bazar de la langue française où l’argot se plaît à travestir le sacré et peut se permettre de tutoyer les puissants, le Mec des mecs trône au sommet du panthéon des appellations gouailleuses.
Pas question ici de simple respect ou de révérence biblique, de pensées gravées sur des tables ou d’interdictions diverses. Non, le Mec des mecs c’est Dieu version faubourienne, avec le costard rayé de chef soucieux de son apparence, les souliers bicolores et l’aura du parrain dont on baise la main.
On soupçonne cette appellation d’être née sous la plume de tontons flingueurs du verbe, quelque part entre les ruelles de Paname et les bas-fonds du français populaire qui ne sont après tout jamais très éloignés. Si « mec » s’impose dès la fin du XIXᵉ siècle comme l’alter ego argotique de l’homme viril, dominant et respecté, le Mec des mecs ne pouvait être que l’ultime incarnation de cette toute-puissance : Dieu en version mauvais garçon, chef de la pègre céleste, commandant en chef des âmes errantes et des destins contrariés par la maréchaussée et la justice des hommes.
Quand le Bon Dieu inspire le respect sans coup férir, le Mec des mecs, lui, garde un pied dans le réel, loin des nuées dorées et des encensoirs. On l’imagine plus volontiers accoudé à un comptoir de troquet céleste qu’à l’autel s’en jetant un derrière la cravate, gardant un œil sur son petit monde, distribuant clins d’œil et coups de semonce aux brebis égarées. Le ton est plus familier, la foi plus instinctive, et le respect teinté d’une tendresse populaire qui rappelle que l’argot aime donner du panache à ses figures d’autorité.
Le Mec des mecs fait aussi bien dans la torgnole que dans le grand pardon
Le Mec des mecs fait aussi bien dans la torgnole que dans le grand pardon. Il s’en fout du blasphème, mais faut pas lui marcher sur les arpions.
Le Mec des mecs s’est effacé du propos. Non pas que le bonhomme ait perdu de son influence, mais un autre boss a pris le contrôle des affaires : le dieu Dollar, celui qui ne promet pas le paradis, mais vend du rêve en petites coupures. À force de prier devant les écrans, de sacrifier son temps sur l’autel du profit et de croire aux miracles de l’offre et de la demande, le monde a troqué le ciel étoilé contre la salle des marchés. Et dans cette jungle où tout se monnaie, le Mec des mecs n’a plus vraiment voix au chapitre : trop lent, trop immatériel, trop sentimental.
Au paradis de l’argot, quelque part entre les costauds du verbe et les saints du langage, les patrons du bon mot et les archevêques du boniment, le Mec des mecs continue pourtant de veiller sur les Vieux Cons surannés. Façon caïd, façon patriarche, façon vieux pote d’en haut.