[èrb a la rèn] (n. anc. TABA.)
Christophe Colomb ne disait jamais non à une petite pipe.
Les historiens sont formels, il était comme ça tonton Cristóbal, toujours partant pour s’en bourrer une depuis qu’il avait rapporté des Amériques cette grande feuille magique que les autochtones aimaient consommer en fumant. Ça lui donnait l’air d’un vieux loup de mer, penché au bastingage de la Pinta ou de la Niña, le regard cherchant la terre natale, là-bas vers le levant. Mais ceci est une autre histoire.
C’est donc ce brave homme¹ qui importa la culture du tabac en Europe, ainsi que celle de la pipe inconnue auparavant (il faudra attendre 1570 pour que des Anglais fabriquent les premières). Notons pour les accros que tabaco provient d’un mot arawak qui désigne une pipe à double tuyau et que c’est par extension que la feuille est devenue tabac. Une petite pipe par ci, une petite pipe par là, rien de bien méchant pour l’instant.
Les choses vont se gâter quand un certain Jean Nicot de Villemain, ambassadeur de France au Portugal, envoie à Catherine de Médicis des feuilles râpées du tabaco en lui racontant que cela va soigner ses migraines. En effet la reine de France souffre souvent de céphalées, à tel point qu’Henri II, lassé de se voir opposé le « non pas ce soir j’ai la migraine » devenu commun depuis, préfère la compagnie de Diane de Poitiers.
L’herbe à Nicot est adoptée par la reine-mère et, protocole royal oblige, le tabac prend le nom d’herbe à la reine. Cela dit, quand la régente noire a le dos tourné on parle aussi de nicotiane, de catherinaire, d’herbe à tout les maux, de panacée antarctique².
L’herbe à la reine se prend en prises et ça renifle en veux-tu en voilà à la cour. Une pratique qui connaîtra un tel succès dans l’élite du royaume que de nombreux traités de savoir-vivre enseignant l’art de priser verront le jour. Tabatière, reniflade, secouette, seront codifiées afin d’éviter des fautes de goût impardonnables dans l’utilisation de l’herbe à la reine.
En 1733 Michel Corrette écrit un concerto comique, La servante au bon tabac, dont les paroles hommages à l’herbe à la reine résonnent jusqu’à la fin des années surannées dans les écoles maternelles : j’ai du bon tabac dans ma tabatière, j’ai du bon tabac, tu n’en auras pas. J’en ai du fin et du bien râpé, mais ce n’est pas pour ton vilain nez !
Sans doute lassée par la comptine, l’Organisation Mondiale de la Santé lance deux siècles plus tard un programme de lutte contre le tabagisme et condamne l’herbe à la reine à l’oubli. Plus de prise, plus de pipe, c’est mauvais pour la santé. Et arrêtez de chanter cette rengaine !