
Fig. A. Coiffeuse jouant du peigne à friser les idées.
[ʒwe dy pɛɲ‿a fʁize lez‿ide] (métaph. BLABLA.)
Qu’elles fassent dans la litote ou l’euphémisme, l’anaphore ou l’oxymore, il est des figures de style qui se tiennent droites dans leurs bottes, aux idées bien carrées, lissées par la rigueur et rendant compte d’une pensée logique.
Et puis il y a celles qui font des anglaises avec la rhétorique, qui tournent autour du pot comme un consultant capillaire autour d’une permanente. Quitte à défriser le plus cartésien des penseurs, le plus méthodique des sachants. On dira dans ce cas que le promoteur du propos en bigoudis joue du peigne à friser les idées.
Jouer du peigne à friser les idées c’est se livrer à ces circonvolutions intellectuelles aussi futiles qu’élaborées, une science quasi innée chez le merlan. C’est parler pour ne rien dire, mais le dire avec tant d’élégance qu’on s’y laisse presque prendre (pour peu qu’on ait alors les esgourdes obturées par une mousse shampouinesque). C’est gloser sur tout et sur rien avec une nette préférence pour le rien mais avec un talent qui fait tout. Quand le bavard ennuie, celui qui joue du peigne à friser les idées enjôle.
C’est que ce bon bec n’allègue jamais sans ambages : aller droit au but ce n’est pas son chemin. Il nuance, il digresse, il brode. Il commence une phrase comme une coupe au bol et la termine en chignon flou. C’est le philosophe de comptoir qui cite Kant à propos du cours du jaja, l’étudiant en lettres qui disserte trois heures sur l’usage du point-virgule chez Baudelaire, le cadre en séminaire qui enchaîne les synergies de paradigmes comme d’autres les shampoings revitalisants au jojoba.
Inventée de toute pièce par quelque esprit moqueur excédé par les grands discours sur le rien, l’expression jouer du peigne à friser les idées est née pour désigner avec humour l’art du verbiage sophistiqué. Elle trouve, c’est certain, son inspiration dans le monde de la coiffure, ce haut lieu du bavardage appliqué, ou dans celui des salons littéraires où l’on frisait les concepts comme on repassait les rubans de ses souliers. Si elle avait été créée en modernité elle l’eût été pour les plateaux télé (ceux qui accueillent des spécialistes en spécialités, pas ceux sur lesquels on disperse quelques frugales tartines en guise de dîner).
Mais désormais le raisonneur itère quand il jaspine, pivote quand il dégoise, brainstorme quand il gamberge et surtout explicite quand il noie le poisson. Il ne joue plus du peigne à friser les idées.
Et il s’en tire toujours. Mais sans le panache du garçon coiffeur.