Locution moliéresque à usage civique et satirique pour désigner celui qui prêche une chose et pratique l’inverse, souvent en toute bonne foi feinte

Fig. A. « Je suis choqué ». Tartuffe.
[ɛtʁ œ̃ taʁ.tyf] (MOLIÈR. HYPOCR.)
Si vous séchâtes le cours de français en 6eB et ce mémorable crescendo théâtral qui devait aboutir à la non moins mémorable représentation de Le Tartuffe ou l’Imposteur en guise d’apogée du spectacle de fin d’année, préférant batifoler dans les prairies et découvrir la sensualité de la belle Isabelle plutôt que celle d’Elmire, il est normal que vous n’entendiez guère l’expression être un Tartuffe.
Quintessence de cette langue dite de Molière qui manie – dans une perfection subtile – la révérence pour mieux se rire du vil, être un Tartuffe demande en effet d’avoir parcouru les vers de la comédie pour en saisir le sens. Le Tartuffe ou l’Imposteur (1664), où l’intéressé se fait passer pour un dévot exemplaire tout en tentant de séduire la maîtresse de maison et d’accaparer l’héritage en manipulant tout le monde, bien sûr au nom de la morale.
Qui a fait l’école buissonnière n’a donc pu accéder au discours de l’escroc de la vertu, aux grimaces du professionnel du masque, au raisonnement de l’expert en double discours.
Car être un Tartuffe c’est dire une chose et faire son contraire, condamner les mœurs légères tout en les pratiquant en douce, prêcher la vertu tout en planquant ses failles morales sous la soutane du blabla. Un truc dont le donneur de leçon est friand depuis qu’il a pigé combien le verbe est fort lorsqu’il est placé haut et déclamé selon les Textes.
N’est pas Tartuffe qui veut.
Il faut avoir oublié l’amour-propre pour dénoncer la fraude tout en la pratiquant. Il en faut de l’infatuation pour moraliser sur la frivolité entre deux galipettes olé-olé. Et quelle dose d’outrecuidance pour redresser les torts du premier pêcheur venu quand on est chevalier pas tout blanc !
Tartuffe moderne : du théâtre aux réseaux
S’offusquer devenant un métier, il était impensable qu’être un Tartuffe ne demeure plus longtemps en usage. Le moderne est tant lisse, indigné sur commande, choqué à la demande, partageant sa vertu sur quelque réseau électronico-social pour mieux exposer sa pureté à tous les passants, qu’il n’aurait pu tolérer l’irrévérence moliéresque. Sans sa grande vigilance, Tartuffe serait devenu un #mot-clé.
Et l’hypocrisie noblement habillée, enjolivée par des images truquées, adoucie par l’élément de langage, aurait dû s’effacer devant l’inextricable enlacement humain des élégances et des avilissements.
Heureusement il n’en est rien. Être un Tartuffe est éculé.