
Fig. A. © Michel Noury, Tomás Ibañez.
[ɛtʁə maʁke a la] (loc. alphab. ANAR.)
Si la langue surannée est bien souvent canaille, usant de tournures capables de faire rougir un bataillon de légionnaires et s’évanouir des précieuses de salon, elle a aussi ses périphrases pudiques, ses minauderies, ses embarras quand elle doit signifier tout le bien qu’elle pense de quelqu’un.Être marqué à l’A entre dans cette catégorie des panégyriques cachés.
Entre ici Jean Moulin, avec ton terrible cortège
Moins lyrique qu’un chevrotant « Entre ici Jean Moulin, avec ton terrible cortège » déclamé devant la maison des Grands Hommes un 19 décembre 1964, moins poétique qu’une baudelarienne « À la très bonne, à la très belle, qui fait ma joie et ma santé, à l’ange, à l’idole immortelle, salut en l’immortalité ! »¹, moins mystique qu’un louangeur « Magnificat anima mea Dominum, Et exsultavit spiritus meus in Deo salvatore meo », être marqué à l’A en désigne pour autant l’homme d’honneur, l’être de lumière, le remarquable.
Extrapolant la marque A apposée sur les monnaies de grande qualité battues par la Monnaie de Paris², être marqué à l’A est devenue expression attribuant des qualités à l’homme en cette époque férue des marques en tous genres : fleur de lys sur le front des bannis, T sur l’épaule des condamnés au travaux forcés (TP en cas de perpétuité), F pour les faussaires, initiales de leur propriétaire pour les esclaves. Toutes étant apposées au fer rouge plutôt qu’en discours (mais ceci est une autre histoire).
À l’usage, être marqué à l’A s’avère plus discret qu’une fourragère, un myosotis ou une rosette rouge à la boutonnière, ce qui convient au bon homme nécessairement sur la réserve.
Pourtant, être marqué à l’A va subitement tomber dans le registre désuet en avril 1964. Huit mois avant que Jean Moulin n’entre ici.

Fig. B. Anarchy in the UK, 1976.
Être marqué à l’A aura vécu onze siècles (864 – 1964).
Entre ici A marqué, avec ton terrible cortège. Etc.
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