L’art délicat d’être à la bonne place au bon moment… et avec les bonnes fréquentations

Fig. A. Homme aux petits papiers.
[ɛtʁ‿dɑ̃ le pəti papje də kɛlkœ̃] (POUV. PIST.)
Il fut un temps — que les moins de trois quinquennats ne peuvent pas connaître — où les décisions importantes ne passaient pas par des CRM, des tableaux Excel ou des séminaires participatifs.
Elles se glissaient, discrètes, dans des tiroirs, des cartables ministériels ou, plus perfidement encore, dans ce qu’on appelait alors les petits papiers. Ces notes griffonnées à la hâte, ces bouts de phrases codées, ces mémos confidentiels qui disaient à demi-mot qui devait être récompensé, reçu, protégé, oublié. Le carnet Moleskine du pouvoir, en quelque sorte.
Être dans les petits papiers de quelqu’un, c’était donc jouir d’un privilège rare : celui d’avoir attiré la bienveillance — ou la connivence — d’un supérieur, d’un décideur ou d’un notable. Autant dire que ce n’était pas le curriculum officiel qui avait fait la différence, mais plutôt la capacité du gonze promu à plaider sans parler, à exister sans déranger, à plaire au bon moment. La discrétion, l’efficacité, le sourire au bon déjeuner, et hop ! Le type était dans les petits papiers. Il venait de passer dans la catégorie des intouchables.
L’expression rencontrera un succès hit paradesque quand Régina Zylberberg, dite Régine¹, les chantera² en enjoignant de les laisser parler ou brûler au prétexte qu’un soir ils pourraient vous consoler… Étrange histoire quand on sait qu’ils ont dû en chagriner plus d’un manquant la légion d’honneur ou une promotion de responsable de la photocopieuse faute d’entregent, mais c’est de la poésie et donc une autre histoire.
Laissez parler
Les p’tits papiers
À l’occasion
Papier chiffon
Pendant longtemps l’expression traînera ses guêtres dans les couloirs feutrés de lieux où l’on décide, dans les officines sombres où l’on murmure, dans les clubs où l’on euphémise à demi-mots sur la marche du monde.
Être dans les petits papiers de quelqu’un fleurera bon le favoritisme népotisant, les recommandations en loucedé, les coups de pouce contrecarrant ceux de Jarnac. Elle désignera toujours, avec une pointe d’aigreur contenue, celui ou celle qui a ses entrées, comme on disait à Versailles quand le quatorzième des Louis y distribuait ses bonnes grâces.
Mais sa fin arrivera.
Le passage à l’ère numérique signera en effet l’abandon des petits papiers et de leur pouvoir discrétionnaire. Être dans les petits .PDF de quelqu’un ne tentera même pas sa chance tant il se serait avéré ridicule.
Plus de papelard, plus de piston ? Allons mon bon monsieur, la modernité est une catin discrète, pas une dame patronnesse.