Couler un bronze [kule œ̃ bʁɔ̃z]

Expression surannée à forte teneur métallique et olfactive, évoquant une opération à la fois intime et sans grande poésie, mais réalisée avec panache lexical

Couler un bronze

Fig. A. « Le moderne coulant un bronze ». Musée Rodin.

[kule œ̃ bʁɔ̃z] (ARTIST. SCATO)

On pourrait croire à une noble activité artisanale : le fondeur, le moule, la coulée incandescente, le travail du métal, le chef-d’œuvre qui prend forme sous les mains expertes du sculpteur. On pourrait, mais ce serait oublier tout le côté taquin de la langue surannée.

Alor qu’on ne s’y méprenne pas : couler un bronze ne fait pas dans le génie puisque qu’il s’agit de poser une pêche. De faire la grosse commission. D’aller libérer le pot. De lâcher les amarres. Définitivement, on est plus proche de chez Bernard que de la fonderie.

Le bronze, ici, ne doit sa présence qu’à une subtile association d’idées (et de couleurs). La matière première évoquée est organique, certes, mais son ton fauve et sa consistance vaguement modelable ont donné naissance à ce joyau d’argot scatologique. Et comme toute action quotidienne ne vaut que si elle est dotée d’un verbe noble, l’usage du verbe couler (lui aussi issu de la métallurgie) permet de garder un semblant de dignité dans la trivialité.

On ne chie pas, on coule un bronze. C’est nettement plus élégant, presque artistique.

L’élégance de la métaphore (ou presque)

Si l’on en croit certains linguistes de comptoir (ceux qui s’expriment en fumant une pipe sans tabac), l’expression naît dans les milieux populaires du XXᵉ siècle, à une époque où l’on aime affubler les actions les plus crues de noms poétiques ou métallurgiques. L’ouvrier du bâtiment, le titi parisien, le soldat au front : tous coulaient leur bronze avec la même régularité que le matin passe à la radio.

Couler un bronze, c’est soulager le corps avec panache. C’est prendre un moment pour soi, refermer la porte, et produire, dans un silence (ou pas) studieux, une œuvre éphémère qui ne recevra ni cadre ni signature¹. On frôle le Rodin, le Hugo.

Le moderne, pudibond, ne coule rien. Il fait dans le « je reviens dans une minute », voire dans le « j’ai un appel urgent » quand il est au bureau. Pire, quand il est sur le trône il est aussi sur son téléphone qu’il dit intelligent². Son soulagement est tout sauf artistique.

¹Ce principe sera remis en cause par des artistes modernes mais ceci est une autre histoire.
²60% des commandes passées sur Internet le sont depuis le petit coin. Sondage Moltonel épaisseur triple, mai 2025.

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