Avoir un poil dans la main [a.vwaʁ‿œ̃ pwal dɑ̃ la mɛ̃]

L'accusation la plus velue de la langue française

Avoir un poil dans la main

Fig. A. Poilu de la main.

[a.vwaʁ‿œ̃ pwal dɑ̃ la mɛ̃] (IMAG. FLEM.)

Dans la hiérarchie des expressions stigmatisantes (les djeuns’ d’aujourd’hui s’en diront « chôqués »), avoir un poil dans la main occupe une place de choix.

On la dégaine comme une gifle douce, comme une remontrance souriante mais venimeuse. Elle suggère que le sujet, plutôt que de s’activer, cultive une certaine propension à l’inactivité chronique qui se caractérise par une pilosité surnaturelle dans la paume de sa main. C’est une insulte feutrée, un diagnostic de flemmardise élégante, un reproche social un poil condescendant. Le tout dit avec une moue soupirante, comme si l’on parlait d’un vice discret mais incurable. C’est une accusation d’oisiveté, une manière feutrée de diagnostiquer la fainéantise chronique sous une forme grotesquement anatomique : un poil, oui, et dans la paume ! Absurde, donc redoutablement efficace.

L’imaginaire du poil non productif

C’est aussi une image. Car enfin, qui donc a un poil dans la main ? Personne, en vérité. Pas même les paresseux notoires (dans l’espèce humaine s’entend car l’aï est évidemment poilu comme un singe, y compris sur la patte).

Cette hyperbole capillaire est métaphorique, certes, mais profondément accusatoire. Le fatigué de naissance, l’économe de son énergie, le cossard patenté sont marqués socialement par ce poil réfractaire. C’est un blasphème pelu contre l’éthique protestante du travail bien fait, de l’ouvrage sans cesse remis sur le métier.

L’expression est apparue au XIXᵉ siècle, période plutôt mal vue par les glandeurs puisque le labeur y était encore une valeur. Le travail manuel, glorifié dans l’ère industrielle, exigeait des paumes lisses, crevassées, mais vierges de tout poil suspect, celui-ci ayant forcément été éliminé par l’effort. Avoir un poil dans la main c’était donc refuser l’ordre productif. C’était une anomalie, une rébellion molle mais insolente.

Celui qui a compris que tout effort n’est pas louable, que toute agitation n’est pas noble, que le monde court souvent dans le vide, pourrait cependant se raser le duvet palmaire de bon matin. Mais il ne veut pas. Et cela, l’univers tayloriste ou le stakhanoviste ne le pardonnent pas. Avoir un poil dans la main est un vilain défaut.

Comme d’aucuns arborent la moustache en brosse à dent ou d’autres la barbe longue et la lèvre supérieure rasée pour dire à leurs adeptes qui ils sont, l’hirsute de la paluche compte ses ouailles, ennemies du travail. Et il arbore le poil dans la main comme d’autres la médaille du travail. Sa philosophie épilatoire est son credo.

Qu’on ait le persil qui sort du cabas ou un poil dans la main, il semble bien que la question pileuse soit celle de la nature humaine. De celle qui descend du singe et aimerait l’oublier (sauf lorsqu’il s’agit de le faire remarquer à ceux qui sont descendus un peu moins vite).

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