[brijé dâ lé ryèl] (loc. sém. ESPR.)
Il est probable que plus d’un ignorant en langage suranné se soit laissé piéger par briller dans les ruelles, pensant y lire une simple activité de candélabre public illuminé par son bec de gaz ou par la fée électricité.
Ce béotien est pardonnable tant il est peu probable qu’il ait fréquenté au XVIIe l’une de ces ruelles constituées par l’espace entre le lit et le mur d’une chambre devenue alcôve et salon de conversation pour grandes horizontales et leurs relations choisies.
Différencier le trait d’esprit du calembour bon marché ou du kakemphaton
Une fois cette subtilité d’agencement mobiliaire acquise, tout s’éclaire : briller dans les ruelles c’est faire preuve de suffisamment de brio dans les conversations qu’on se fera remarquer par la maîtresse de maison qui en a vu des vertes et des pas mûres et sait différencier le trait d’esprit du calembour bon marché ou du kakemphaton.
Dans les salons où l’on cause, l’allégorie peut faire esquisser un sourire, la litote acquiescer, la métaphore applaudir, l’anacoluthe soupirer de grâce et l’homéotéleute passer pour un poète. Le mot bien placé pourrait même mener jusqu’à ce lit tant convoité : briller dans les ruelles est une qualité permettant d’emprunter le chemin du plaisir.
Alors on lit, on étudie, on philosophe, on se forge des idées, parfois on prend la plume, le pinceau ou la lyre qui peuvent aider à briller dans les ruelles à conditions de s’en servir à propos.
La lutte est sans merci. Pour un vers de travers on éconduit. S’esclaffer à son propre blabla est une faute et l’empesé de la gourmette qui aura appris ses répliques par cœur sera vite démasqué et balancé aux lions.
Briller dans les ruelles c’est se jouer du clair obscur, avancer à pas parfois feutrés, laisser de la place aux silences. L’exercice est ardu. Le médiocre s’y abîme.
Balançant les watts à qui mieux mieux pour éclairer la moindre impasse comme en plein jour, le moderne va assombrir l’avenir de briller dans les ruelles.
Et sa peur du noir, et son incapacité à apprécier la ville la nuit auront raison de l’expression qui bientôt ne signifiera plus rien et certainement pas faire scintiller les mots dans l’espoir d’éblouir une donzelle inaccessible (d’autant que la chose est désormais désuète, mais ceci est une autre histoire).
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