Sorguer sa trique [sɔʁ.ɡe sa tʁik]

Locution argotique, aujourd’hui rangée au vestiaire des expressions fatiguées

Sorguer sa trique

Fig. A. Quidam sorguant sa trique dans un rade.

[sɔʁ.ɡe sa tʁik] (gr. n. ZZZ.)

Il est mille façons élégantes de parler du sommeil : tomber dans les bras de Morphée, faire un somme, piquer un roupillon, aller au cinéma des draps blancs.

Et puis il y a sorguer sa trique, qui sent la poussière du terrain vague, le linceul du bitume et la poésie rugueuse des hobos.

Sorguer sa trique, c’est dormir, mais pas vraiment pour rêver. Dormir pour survivre. C’est reposer sa carcasse meurtrie, sa trique, cette enveloppe corporelle fourbue par les jours trop longs et les nuits trop froides. Et sorguer, dans le bon argot des voleurs et des gagne-petit, c’est fermer l’œil, pioncer, sombrer dans le sommeil d’un coup, sans chichi ni bouillotte.

On ne sorgue pas sa trique dans un lit à baldaquin. On sorgue sa trique dans une soupente, sur une paillasse, ou roulé dans un vieux paletot, à l’abri d’un porche ou sous un pont. Ce n’est pas un sommeil de luxe, c’est une suspension du calvaire quotidien.

Née dans les zones d’ombre de Pantruche et les faubourgs où le bitume est plus fréquent que la moquette, sorguer sa trique est l’expression des gouapes, des trimardeurs, des titis sans le sou, des arpenteurs de la dèche. Le gars se pose, s’adosse à un mur, tire sa casquette sur les yeux, et hop : il sorgue sa trique, comme on arrime un navire de fortune le temps d’une accalmie.

Mais attention : sorguer sa trique n’a rien d’une sieste légère au soleil de la Méditerranée. C’est le repos du corps battu, de l’âme usée. Ce n’est pas une coquetterie linguistique, c’est un aveu de fatigue. Un moment suspendu entre deux coups durs.

Si l’expression est tombée en désuétude, c’est peut-être parce que le monde moderne préfère s’accorder une power nap réparatrice dans un bar à sieste, ou profiter d’un instant de flottaison en isolation sensorielle sur de l’eau saturée en sel d’Epsom¹, ou bien encore optimiser son sommeil en cycle de 90 minutes en suivant les conseils avisés de son téléphone intelligent².

Car pour encore sorguer sa trique, il faudrait écouter une chanson de Fréhel ou relire Mac Orlan, et ça ce n’est pas vraiment au goût du jour.

Ami contemporain, si jamais tu vois un gars recroquevillé sur un banc ou sur le canapé en skaï d’un rade, le cheveu rare et la cravate trop large : laisse-le. Il sorgue sa trique. Il en a sûrement besoin.

¹Authentique.
²Authentique.

Laisser un commentaire