
Fig. A. Mal dégrossi.
[avwaʁ‿etɛ sɔʁti dy potofø‿alɔʁ kə la sup nɛtɛ pa kɥit] (loc. bêt. CUIS.)
On connaît le rôti trop cuit, la pâte mal levée, le cake aux olives sec comme les couilles à Taupin, la béchamel pleine de grumeaux… Mais peu d’expressions culinaires décrivent avec autant de tendresse vache l’inachevé que celle-ci : avoir été sorti du pot-au-feu alors que la soupe n’était pas cuite.
Car il ne suffit pas d’être plongé dans le bain pour être à point. Encore faut-il y mijoter. Ce qui n’est pas donné à tout le monde.
L’expression désigne celui – ou celle – qui, manifestement, n’a pas eu le temps de finir la cuisson, dans tous les sens du terme. Physiquement, intellectuellement, socialement. Le malchanceux, le mal dégrossi, le mal dégivré. Bref, l’individu à l’état inadapté à une situation (nécessitant généralement réflexion).
À défaut d’avoir bouilli assez longtemps avec les bons légumes, le malheureux a été retiré trop tôt de la marmite de l’existence, encore fibreux, peu savoureux, et difficile à avaler. Résultat : il manque de consistance, de fond, de moelle. Il est encore tout cru à l’intérieur.
On pourrait croire à une expression gastronomique réservée aux cuisines populaires. Que nenni. C’est une insulte sociale feutrée, un constat de raté existentiel qu’on glisse comme on balance un torchon sur l’épaule : négligemment.
« Lui ? Oh, il a été sorti du pot-au-feu avant que la soupe soit cuite… »
Le ton est compatissant, mais le constat sans appel. Il manque un quart d’heure de cuisson et un bouquet garni à ce bonhomme.
Soupe pas cuite, destin pas clair
L’origine est probablement domestique. Dans ces cuisines d’autrefois où mijotait la marmite du dimanche, où le pot-au-feu racontait à lui seul l’histoire d’une famille, être sorti trop tôt du bouillon, c’était une hérésie. Le bouilli non prêt n’est bon ni à manger, ni à jeter. Il est en attente. Comme ce pauvre diable dont avoir été sorti du pot-au-feu alors que la soupe n’était pas cuite parle ici.
L’expression peut être moqueuse, mais elle est aussi tendre, à sa façon : on n’accuse pas, on constate. Le type n’est pas méchant. Juste pas fini.
Et puis on ne choisit pas toujours quand on est retiré du pot. Parfois c’est la vie qui éteint le feu sous la marmite. Parfois c’est la modernité qui sert les plats en kit, précuits au micro-ondes.
Aujourd’hui, l’expression se fait rare. On dira plutôt qu’untel ne possède pas les qualités requises, qu’il possède une belle marge de progression, qu’il devra confirmer les espoirs mis en lui. Mais aucune formule ne dira mieux que celle-là à quel point certains mériteraient encore quelques instants de cuisson avant d’affronter le monde.