Milord pot-au-feu [milɔʁ po o fø]

Fig. A. Ensemble de milords pot-au-feu.

[milɔʁ po o fø] (french connect. $$$)

A kiss on the hand may be quite continental, but diamonds are a girl’s best friend chantait, en angliche dans le texte, Carol Channing sur les planches de Broadway avant que Marilyn Monroe ne viennent lui voler la vedette pour devenir l’icône incarnant cette blonde préférée des milords pot-au-feu (en français dans le texte).

Le crédule plein aux as que la donzelle sex-symbol traîne chez Tiffany ou Cartier pour choisir les modalités de sa fidélité se désigne ainsi chez les ceusses empêchés de la Ve Avenue ou de la place Vendôme, dans ce mélange évidemment gaillard d’un peu de noblesse british et de gastronomie bien de chez nous.

L’impécunieux et soutier de la séduction qui ne doit son salut en amour qu’à son bagout n’est pas dupe quant au charme du rupin. Et il le fait savoir avec ce dosage subtil de gouaille des faubourgs et de respect des convenances. Il lui donne du milord et le fait mijoter avec gite, macreuse, plat de côtes, jarret et queue de bœuf, ce crésus naïf qu’il aurait pu laisser se faire plumer comme un pigeon¹. 

Pas une pointe de jalousie dans ce milord pot-au-feu, juste un chouïa d’ironie pour celui qui le sam’di soir après l’turbin doit se contenter de filer avec sa femme bras d’ssus bras d’ssous aux gal’ries à vingt sous avant de lui chanter viens poupoule. 

On fait encore dans la déférence en ces temps surannés, même pour le milord pot-au-feu que la cruelle modernité va transformer en sugar daddy. En angliche dans le texte, cette fois, sans le moindre ménagement.

La croqueuse d’aujourd’hui fait dans la sucrerie. Ça se veut délicat. Ça ne vaut pas Marilyn.

¹Mais le pot-au-feu de pigeon ce n’est pas bon.

Ne pas être le lampadaire le plus lumineux du boulevard [nə pa ɛtʁ lə lɑ̃padɛʁ lə ply lyminø dy bulvaʁ]

Fig. A. Lumineux lampadaire de boulevard.

[nə pa ɛtʁ lə lɑ̃padɛʁ lə ply lyminø dy bulvaʁ] (exp. boulev. CON.)

Il faudra attendre que la fée électricité boute l’acétylène hors des becs à gaz qui éclairaient alors les grisettes de Paname en sus de ses trottoirs, pour que le lampadaire se décide à magnifier de sa luminescence intense le moindre quidam déambulant à ses pieds.

Symbole de rayonnement moderne et de l’inéluctable marche du Progrès, le réverbère relié au nouveau réseau électrique va bientôt devenir la marque de la pensée la plus élaborée, de l’idée raffinée, du conseil avisé.

A contrario pour le populo jamais en retard d’une boutade, sa déficience propose plutôt de la capilotade côté ciboulot.

Le poulbot argumentera ainsi auprès du bouché à l’émeri qu’il n’est pas le lampadaire le plus lumineux du boulevard, soit qu’il est loin d’être un phare de l’avancée des sciences et des consciences. L’occulté de la pensée ne s’en vexera point tant il s’avère plus proche d’un amateur de méthane que d’un bénéficiaire des services du Réseau de la Zone Diphasée : l’éclairement n’est pas de son rayon et le bougre se satisfait d’apercevoir jusqu’au bout de son nez lorsque la lumière naturelle décline.

L’expression fort urbaine fait un chemin tranquille, suivant la progression de la Compagnie Parisienne de Distribution d’Électricité qui finira par tout rafler et renvoyer l’allumeur de réverbères sur sa planète (où il croisera d’ailleurs le Petit Prince, mais ceci est une autre histoire).
La déambulation sur les artères aux noms de maréchaux glorieux qui est alors de mise pour parader dans son quartier et jauger de la santé des puissants à l’aune de leur bedaine bombée poussera un temps ne pas être le lampadaire le plus lumineux du boulevard au firmament du fiel fardé.

En concurrence avec la plus tranchante ne pas être le couteau le plus affûté du tiroir ou la plus questionnante ne pas être le pingouin qui glisse le plus loin (l’animal est encore exotique à l’époque, le pôle Nord s’évertuant à refroidir les explorateurs les plus entreprenants), l’expression ne laissera pas sa part dans l’univers de la mise en boîte du ballot.

Elle ne devra sa disgrâce qu’à la diminution des crédits d’entretien de la voirie et de ses mobiliers, la chose ayant pour résultat de rendre aléatoire la fonction éclairante des lanternes urbaines et l’admiration universelle pour la Ville Lumière, mais ceci aussi est encore une autre histoire.

Payer au cul du camion [peje o ky dy kamjɔ̃]

Payer au cul du camion

Fig. A. Un camion avant le paiement.

[peje o ky dy kamjɔ̃] (loc. usur. TX BANC.)

Même si l’idée du camion qui germe dans l’esprit fécond de Nicolas Joseph Cugnot en 1769 peut être vue comme initiale, le bougre aura malheureusement le mot qui flanche en dénommant son chariot à transporter les charges lourdes un « fardier » (certainement parce qu’il permettait de se fader des fardeaux) et ne peut dès lors être crédité de l’invention de l’expression payer au cul du camion.

Mettre un brocco [mɛtʁ œ̃ brocco]

Fig. A. Les Apaches.

[mɛtʁ œ̃ brocco] (loc. largo. BAST.)

L‘escarpe des fortifs’, le rôdeur de barrière, qu’il soit des Gars de Charonne ou de la bande des Quatre Chemins ne fait pas dans la dentelle quand il s’agit de faire valoir son point de vue. L’Apache en désaccord n’hésite pas en effet à mettre un brocco, histoire d’argumenter. La Belle Époque c’est aussi du bourre-pif, de la taloche, de la nasarde, pas que de la java ou de la valse chaloupée.

Le chercheur en suranné aura beau se démener, jamais il ne trouvera si c’est un bolo-punch, un crochet ou un uppercut que l’expression mentionne de son brocco peut-être venu d’Italie, vu que le marlou n’est pas causant et qu’il ne fait pas vraiment dans l’étymologie quand il refile de la mornifle.

S’il jacte ainsi c’est que l’argot est son dico. Plutôt que molester (trop rupin), commotionner (trop médical), ou estourbir (trop littéraire), le galapiat préfère mettre un brocco, rapport que c’est plus sec, que ça claque mieux. L’ahimsa du Mahatma c’est pas son fort au mec de Ménilmuche. Lui il travaille dans la nuisance, dans le dommage et la blessure.

Fig. B. Joseph Pleigneur, dit Manda, après avoir mis un brocco à Paulo l’Arrangeur.

Mettre un brocco ne survivra guère à l’apacherie mise au ban et au bagne par l’action de la maison poulaga, elle-même promouvant des formes originales du langage et qu’on ne pourra dès lors suspecter d’avoir voulu faire table rase de cette phraséologie fleurie.

L’expression disparaîtra comme elle était apparue : sans que l’on sache comment.

 

Mets du charbon, t’occupe pas des Indiens [mɛ dy ʃaʁbɔ̃ tɔkyp pa dé ɛ̃djɛ̃]

Fig. A. Les Indiens et la charbon : une vieille histoire.

[mɛ dy ʃaʁbɔ̃ tɔkyp pa dé ɛ̃djɛ̃] (loc. bougn. CINÉ)

Le cossard irrite tant à l’époque surannée que la langue d’alors s’est chargée de pousser au cul celui qui tente de tirer audit postérieur¹, imaginant remettre sur le chemin du juste labeur le fainéant récalcitrant.

Il est possible que le Bougnat en droite provenance de sa Limagne natale soit le créateur inspiré de mets du charbon, t’occupe pas des Indiens, expression consacrée pour obliger l’indolent à bosser.

C’est en effet lui qui charrie sur ses épaules musclées le précieux combustible jusqu’au domicile du puissant, et le languide l’irrite lorsqu’il se met soudain à se préoccuper d’autre chose que de sa tâche qui doit le mener jusqu’au quatrième étage – sans ascenseur comme il se doit puisque Félix Roux et Jean Combaluzier n’ont pas encore eu le temps d’équiper plus que la Tour Eiffel (mais ceci est une autre histoire).

Et lorsque l’Auvergnat se crispe il fait dans le fleuri et dans l’amphigouri.

Le taquin fera bien entendu remarquer que Géronimo et consorts n’ont jamais vu le Puy-de-Dôme et que conséquemment leur présence interpelle.

Lorsque l’Auvergnat se crispe il fait dans le fleuri et dans l’amphigouri

C’est là faire peu de cas de l’évidente influence de John Ford et de son œuvre, le cinéaste de la conquête de l’Ouest nous offrant dès 1924 The Iron Horse (le cheval de fer), film retraçant la construction du premier chemin de fer traversant l’Amérique et la vengeance de Davy Brandon dont le père a été tué par les Indiens. On y entend à plusieurs reprises mets du charbon, t’occupe pas des Indiens tandis que des Peaux-Rouges criards qui les avaient pris pour cibles cherchent à les clouer nus aux poteaux de couleurs².

De Sacramento à Clermont-Ferrand il n’y a donc qu’un pas grâce à mets du charbon, t’occupe pas des Indiens. L’intrusion états-unienne dans la langue d’ici est rare, ne gâchons pas notre plaisir.

Fig. B. Limonadiers devant leur établissement.

Entre 1950 et 1970, la consommation de charbon diminue au profit des hydrocarbures, plus modernes. La tendance est alors à l’ordinaire et au super dont le litre à 1 franc remplit le réservoir de la R12. La surabondance de pétrole pousse le Bougnat à se spécialiser dans la limonade qu’il sert uniquement en son boui-boui et ne délivre plus à domicile.

La Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier perd de sa superbe et entraîne avec elle mets du charbon, t’occupe pas des Indiens.

Le musard se refait la cerise, il va pouvoir tirer au flanc sans se faire sermonner. L’ère nouvelle s’annonce radieuse.

¹Tirer-au-cul
²Une coutume locale décrite par le poète.

Avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue [avwaʁ syse la tuʁ‿ ɛfɛl pur la râdre pwêty]

Fig. A. La tour Eiffel avant de devenir pointue.

[avwaʁ syse la tuʁ‿ ɛfɛl pur la râdre pwêty] (exp. ingén. VANT.)

Toi t’as sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue » n’a rien à voir avec « toi t’as pas sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue ». Rien. Qu’on se le dise. La deuxième expression n’est pas la négation de la première; la langue surannée sait brouiller les pistes de la compréhension du quidam mal équipé côté verbe. Il faut des lettres pour dégoiser peinard.

Selon toute vraisemblance c’est après le 31 mars 1889 que l’expression consacrant le fanfaron un peu trop vantard a vu le jour.

En effet, avant l’inauguration officielle de la tour en fer puddlé de ce bon vieux génie de Gustave Bönickhausen dit Eiffel (les guides touristiques ne sauront jamais assez le remercier d’avoir construit son œuvre sous le patronyme raccourci d’Eiffel, « devant vous s’élève la tour Bönickhausen dit Eiffel » s’avérant nettement plus pénible à débiter à une masse de visiteurs ébahis – mais ceci est une autre histoire), il semble impossible qu’avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue ait pu exister. Celui qui se la racontait alors était tancé sous d’autres formes.

Devant vous s’élève la tour Bönickhausen dit Eiffel

Il est heureux pour la langue que la dynamique des forces métalliques ait fait aboutir une forme pointue car on imagine mal moquer le fat avec un « toi t’as sucé la tour Eiffel pour la rendre arrondie » ou encore « toi t’as sucé la tour Eiffel pour la rendre plate ». On friserait dans ce cas le ridicule quand on côtoie les dieux avec cette formule à la fois visionnaire et du plus évident des bons sens. Nul autre que le pire de rodomont ne saurait se vanter d’arriver à la cheville du seul ingénieur en travaux publics à avoir terminé son chantier dans les délais annoncés.

Dès que les Parisiens et le monde découvrent la Dame de fer, avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue prend ses quartiers de noblesse bien au-delà du 7arrondissement et du quartier du Gros-Caillou.

Le succès est à l’aune de la prouesse technique et esthétique de la plus haute structure du monde.

Partout on envie la langue française pour avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue. Et on tente de la copier. Quarante ans plus tard, comme le Chrysler Building devient le toit du monde bâti, la gouaille new-yorkaise tente un you sucked the Chrysler building to make it sharp qui échouera lamentablement. La langue française est inégalable.

Quand en 1991 la tour rejoint le patrimoine mondial de l’UNESCO, les fonctionnaires onusiens tatillons et chagrins refusent qu’avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue soit versée à ce même patrimoine, arguant d’indécence phallocrate, de sous-entendus érectiles, d’allusions érotiques.

Ces gratte-papiers n’entravant que pouic à la langue surannée précipiteront l’expression dans l’oubli. De ces idiots on peut cependant toujours dire qu’ils n’ont pas sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue, puisque c’est à cela que sert la négation introduite.