Locution élégamment fataliste pour désigner l’instant précis où l’on comprend que tout va de travers… mais avec classe

Fig. A. Avant de se prendre un revers.
[sə pʁɑ̃dʁ‿œ̃ ʁə.vɛʁ] (SPOR. ÉCH.)
Il y a des défaites cuisantes, des dégelées brutales, des branlées sans équivoque.
Et puis il y a les revers.
Moins violents, mais infiniment plus cruels. Parce que plus subtils, plus fins, presque esthétiques dans leur manière de flanquer ou recevoir une raclée.
Se prendre un revers, c’est échouer avec distinction, perdre avec panache, se faire rembarrer sans même pouvoir crier à l’injustice. L’adversaire était plus fort. Point barre.
L’expression vient bien sûr du tennis, ce sport où l’on sue en pantalon blanc. Le revers, dans ce contexte, désigne ce coup élégant porté du bras opposé à la main dominante. Lorsqu’il est slicé à deux mains c’est de l’art. Mais dans le langage courant de ce temps où Lacoste est un joueur et pas un survêtement, le revers a quitté les courts pour venir décrire une claque sociale, un échec poli, un retour de bâton discret mais douloureux.
Une humiliation feutrée et sans appel
Car se prendre un revers, ce n’est pas tomber du placard, c’est glisser subtilement, perdre l’équilibre sur une illusion, se cogner à la réalité avec un bruit léger. C’est une humiliation feutrée et sans appel.
L’expression est souvent employée dans des contextes professionnels ou sentimentaux. Deux domaines où l’on essaie, où l’on espère, où l’on y croit, avant de se faire gentiment dégager par un « tu comprends, c’est pas toi, c’est moi » ou un « on va finalement confier ce poste à quelqu’un de plus expérimenté. »
Mais attention : le revers n’est pas une simple rebuffade. C’est un non bien formulé, un refus emballé dans du papier de soie, un échec avec poignée de main. Contrairement à la baffe, à la gifle, au vent, le revers conserve une forme de dignité. Il fait mal, mais il n’abîme pas. Il laisse intact l’apparat, même s’il désosse l’intérieur.
C’est pourquoi se prendre un revers était une expression précieuse dans le paysage des échecs quotidiens : elle permettait de parler d’un moment humiliant avec une tournure sportive, presque technique, comme si tout ça relevait d’une simple maladresse de jeu. Elle adoucissait la honte. Elle l’habillait.
Las, se prendre un revers n’est plus de la partie. Le moderne est ghosté lorsqu’il est éconduit en anamour, et il ne dirait pas que c’est un échec, ça n’a pas marché, quand il a planté un énorme projet… Il aurait dû travailler son revers en fléchissant bien sur ses jambes.
