Régler ça au chausse-pied [ʁegle sa o ʃospje]

Fig. A. Chausse-pied.

[ʁegle sa o ʃospje] (LOC. CORDONN. BOUR.)

Dans l’arsenal des expressions que nous ont léguées les anciens qui ne faisaient pas dans la dentelle, régler ça au chausse-pied occupe une place de choix, quelque part entre forcer comme un âne et y aller à la truelle.

Car s’il est une chose que le chausse-pied n’a jamais prétendu être, c’est un outil de précision.

Le truc n’a pas la grâce du pinceau, la finesse du scalpel ou la souplesse du fouet du pâtissier. Non, le chausse-pied c’est la solution du désespéré, l’outil du « ça passe ou ça casse », l’arme du forcené bien décidé à faire rentrer un pied dans une godasse trop étroite, quitte à tasser les orteils comme un touriste en retard bourrant une valise trop pleine. Un chausse-pied c’est du subtil niveau bourre-pif. C’est dire que ça ne vole pas haut.

Régler ça au chausse-pied, c’est donc une façon élégante de dire qu’on force les choses sans délicatesse, en bricolant une solution approximative, dans un mélange d’entêtement et d’acharnement aveugle. On est bien loin du travail d’orfèvre et plus proche de celui du sagouin.

L’expression s’applique à tout ce qui exige du doigté mais finit exécuté à la hussarde.

Ça passe pas, mais je vais régler ça au chausse-pied

Un débat houleux où la reductio ad Hitlerum remplace la réflexion ? On règle ça au chausse-pied. Une décision administrative prise sans concertation et imposée d’un trait de plume ? Encore un coup de chausse-pied. Un boulon de 10, un écrou de 8 ? Au chausse-pied ça va rentrer.

L’image est parfaite : ce n’est pas que ça ne fonctionne pas… c’est juste que ça ne fonctionne qu’au prix d’une contrainte énorme, et souvent au détriment de ceux qui doivent s’y plier, qu’ils soient orteils, contradicteurs, administrés ou tiges filetées.

Si l’on en croit les indices laissés par les générations précédentes, régler ça au chausse-pied semble issu du monde artisanal et du commerce de la chaussure, à une époque où le cuir était un seigneur intransigeant et le confort une vague option. C’était au pied de s’adapter à sa pompe quitte changer de forme et à passer de romain à égyptien ou de grec à celtique.

Avant l’avènement des sneakers molletonnées et des semelles en mousse, chaque achat de soulier était une prise de risque. Trop petit ? Tant pis, on ferait avec. Le chausse-pied était alors le dernier espoir du pauvre bougre condamné à enfiler un Derby en croco une pointure trop juste, pendant que le vendeur lui assurait que « le cuir, ça se fait ».

On comprend aisément que cette solution brutale, consistant à forcer une situation plutôt que de la résoudre intelligemment, ait fini par dépasser le cadre des souliers pour entrer dans le langage courant.

Le moderne, lui, n’aime pas qu’on lui rappelle qu’il force les choses. Il préfère parler d’adaptation, de flexibilité, voire d’optimisation des contraintes. On ne bourre plus les pieds dans des chaussures trop petites, on améliore l’ajustement ergonomique.

Désormais on ne règle plus un problème au chausse-pied, on trouve une solution agile dans un contexte mouvant.

Et c’est bien dommage. Parce qu’un bon vieux « Ça passe pas, mais je vais régler ça au chausse-pied », c’est au moins l’assurance d’une honnêteté brutale. Et ça, c’est devenu bien rare.

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