Catégorie : Faits divers

100 francs [100 fʁɑ̃]

Fig. A. Un fafiot de 100 francs.

[100 fʁɑ̃] (unit. mon. ARGE.)

Je suis au regret de vous annoncer que si vous voyez exactement à quoi correspondent 100 francs, si vous avez machinalement effectué une conversion dans votre tête, si vous avez repensé à tout ce que vous pouviez acheter avec 100 francs, vous êtes suranné. Eh oui, 100 francs a pour caractéristique de surannéiser quiconque l’évoque, c’est ainsi.

Son pouvoir est instantané et immense auprès des plus de 40 ans. D’ailleurs 100 francs s’accompagne généralement de lunettes de presbyte et d’un goût immodéré pour les génériques de dessins animés (Capitaine Flam, Goldorak, Candie, etc.).

Le syndrome est dit maximalis lorsque le patient est capable de donner les dimensions et couleurs du billet qui en portait les caractéristiques numéraires.

100 francs ne se soigne pas mais ne gêne pas au quotidien. Il n’y a pas de traitement valable à ce jour, laissez le temps passer.

Chocolatine [ʃɔkɔlatin]

Fig. A. Boulanger de la Belle Province préparant une chocolatine.

[ʃɔkɔlatin] (pain. choc. PÂTISS.)

Il n’y a pas de débat, je le sais : on dit pain au chocolat.

Néanmoins, dans quelque coin reculé où le Train à Grande Vitesse n’a pu encore déployer ses cohortes citadines, d’étranges autochtones s’enorgueillissent de dévorer chocolatines.

Comment, sans trop leur faire de peine, les ramener à la raison ? Et après tout ne sont-ils pas charmants avec leur entêtement ?

Je déclare donc ici l’appellation chocolatine si surannée qu’elle en est par là même protégée. Chocolatine sera ce lointain cousin de la Belle Province qu’on a croisé en enfance et qui nous a tant fait rire. Son langage imagé a ravi tant de soirées, fait naître tant de questions qu’il a une place à part dans notre cœur. Qu’il nous régale encore.

Treize à la douzaine [tʁɛz a la duzɛn]

Fig 5. Label de qualité. USA.

Fig 5. Label de qualité. USA.

[tʁɛz a la duzɛn] (exp. maraich. MARCH.)

Je vous parle du temps d’avant le packaging, lorsque l’allée pénétrante n’existait pas, que les gondoles ne voguaient qu’à Venise, et que le panier moyen était fait en osier.

C’était le temps du treize à la douzaine, cette délicieuse pratique qu’on n’appelait pas commerciale tellement elle paraissait frappée au coin du bon sens.Offrir un treizième fruit parce que sur les douze autres il était possible d’en trouver un trop mûr, une huître de plus pour celle qu’on allait abîmer en la forçant, un œuf de plus pour compenser celui qu’on ferait tomber. Un geste de coutume, de ceux qui entretiennent les bonnes relations. Je l’aimais bien ce geste, plus sympathique que les 33% d’un produit girafe et moins vulgaire qu’un stop rayon.

On remerciait le maraîcher ou la caissière et on revenait le lendemain leur dire que décidément, leurs fruits étaient bien les meilleurs de la région.

Nationale 7 [nasjɔnal 7]

Fig. A. 2Cv sur la route des vacances.

[nasjɔnal 7] (rout. RN7)

Allez viens, on prend la 2Cv et c’est parti ! Vive les vacances. On mettra deux jours pour arriver mais on s’en fiche, on est heureux, on va voir la mer. Tu sens la garrigue ? Tu entends les cigales ?

🎼🎶De toutes les routes de France d’Europe
Celle que j’préfère est celle qui conduit
En auto ou en auto-stop
Vers les rivages du Midi🎶

🎶🎶Nationale 7
Il faut la prendre qu’on aille à Rome à Sète
Que l’on soit deux trois quatre cinq six ou sept
C’est une route qui fait recette🎶
🎶Route des vacances
Qui traverse la Bourgogne et la Provence🎶

Tapioca [tapjɔka]

Fig. A. Manioc pour tapioca.

[tapjɔka] (n. com. FEC.)
Le tapioca c’est n’importe quoi. Une sorte de bouillie approximative, plus proche du lendemain de fête que du truc comestible… qui pourtant produit d’excellents mets une fois passé dans des mains expertes (pas les miennes). Le tapioca c’est comme le rutabaga; une bizarrerie qui flirte entre exotisme et popote d’avant-guerre, et qui pourrait bien revenir à la mode très rapidement grâce aux tenants du sans gluten, aux bobos et tous ceux qui nous bousillent notre suranné en en faisant du mainstream. Touche pas au tapioca !

Carabistouilles [kaʁabistuj]

Fig. A. M. Brun. Don de la maison Marcel Pagnol.

[kaʁabistuj] (probl. EXCLAM.)
Carabistouilles sent bon l’embrouille mais l’embrouille méridionale.

Ne me demandez pas pourquoi, c’est comme ça. La carabistouille c’est Panisse, c’est Monsieur Brun, c’est du Pagnol. La carabistouille est nécessairement Marseillaise. Elle charrie dans ses syllabes l’arnaque sans conséquences, la voix qui monte pour faire peur sans bien y parvenir, et le manque d’efficacité car un mot qui se termine en « ouille » peut-il vraiment être efficace ? Je dis non; mais il est en revanche digne d’être suranné.

Droguerie [dʁɔɡʁi]

Fig. A. Vendeur de droguerie.

[dʁɔɡʁi] (n. fém. COMMERC.)

Depuis toujours, ce mot sent le souffre. D’une part parce qu’on en trouvait dans ses rayons (mais à quoi cela pouvait-il bien servir ?) et d’autre part parce que sa proximité sémantique avec les interdits le rend suspect.

Qui peut bien avoir eu l’idée saugrenue de le nommer ainsi ?

J’observais avec candeur et admiration les adultes annoncer haut et fort qu’ils allaient à la droguerie, comme ça, tranquillement. Allons quoi ! Ma mère se perdant dans cet univers chaotique et interdit ? Comment était-ce possible ?

Les drogueries ont disparu, emportant avec elle leur lot de mystères, leurs savons de Marseille, leurs teintures à tout faire, leurs bouteilles de couleurs. Quand j’en trouve une sur mon chemin j’y fais un tour pour humer son odeur.

À la revoyure [a la ʁəvwajyʁ]

Fig. A. Au Père Tranquille. Paris XIVe.

[a la ʁəvwajyʁ] (exp. FAM.)

Il y a de la gouaille, du poulbot, dans un « À la revoyure«  lancé à la cantonade. J’aime bien son aspect rocailleux et respectueux à la fois. C’est un peut-être, un espoir, un rêve d’une prochaine rencontre qui se fera si tout va bien, si le destin le veut.
On le balance en quittant le bar des copains, la partie de pétanque, le baloche du samedi soir. Oui, il y a du Gavroche là-dedans.

À la revoyure les aminches !

Et tout le Saint-Frusquin [e tu lə _sɛ̃tfʁyskɛ̃_]

Fig. A. Saint-Frusquin nourrissant un petit lévrier. Musée du Vatican.

[e tu lə _sɛ̃tfʁyskɛ̃_] (exp. ET PATATI.)
Faire appel à un raccourci intégrant je ne sais quel truc canonisé (qui est donc ce Frusquin ?) est hautement jubilatoire.

Il oblige l’interlocuteur à se projeter dans un monde complexe empli de divinités et de leurs sbires mi-hommes mi-fruits-de-l’imagination, tous le toisant doctement et attendant qu’il se soumette. En ne proposant rien d’autre qu’un vague amalgame limbique, le Saint-Frusquin emporte l’acquiescement.

Nettement plus fort qu’un simple « tu vois ce que je veux dire », le Saint-Frusquin est la quintessence d’une pensée partagée sans être formulée. Quand vous ne savez plus quoi dire, terminez votre phrase en l’invoquant.

Du grand art je vous dis.