
Fig. A. « Allons, mon chou, va donc te faire lanlaire ! ».
[ale sø fɛʁ lɑ̃lɛʁ] (ARG. OUST.)
L‘impératif de l’expédition expéditive. L’injonction politique du congé forcé. La façon élégante et chantante de dire à autrui d’aller se faire voir ailleurs sans sombrer dans la vulgarité.
Aller se faire lanlaire est bien plus qu’une simple invitation au départ. C’est une mise à l’écart qui fait sourire, un renvoi en douceur dans les cordes du néant, un « dégage » qui danse la polka.
Si aller se faire lanlaire donne l’impression d’un verbe manquant – lanlaire ne se conjuguant nulle part, pas même au passé simple des temps révolus –, c’est que cette expression est née d’un refrain fredonné à la cantonade.
Ce lanlaire est une pure onomatopée, une ritournelle de chanson populaire, un écho moqueur qu’on adresse à celui dont on ne veut plus entendre parler. L’origine précise reste floue, mais l’usage fait consensus : on envoie promener sans ménagement, mais sans agressivité non plus. Le lanlaire adoucit l’exil, il y ajoute un petit pas de danse moqueur, une désinvolture qui dit « va-t’en » avec un accent de titi des faubourgs.
C’est là tout le génie de cette expression : elle n’humilie pas. Elle classe sans brutalité, elle congédie sans gifler. Un moyen idéal d’indiquer qu’on ne souhaite plus la présence d’un importun sans pour autant salir son propre langage.
L’âge d’or de l’expulsion chantante
L’apogée d’aller se faire lanlaire se situe sans conteste au tournant du XIXᵉ et du XXᵉ siècle, époque où le bon mot fait foi et où l’impertinence s’orne encore d’un sourire. On l’entend dans les cafés-concerts, dans les ruelles où traînent les gouapes et les marlous, dans les vaudevilles où le mari trompé découvre trop tard qu’il n’était qu’un accessoire de l’intrigue.
« Eh bien, mon cher, vous pouvez aller vous faire lanlaire ! » lance l’amant cynique au mari éconduit qui se débat encore avec son chapeau claque. On imagine aussi la cocotte mondaine, plume au chapeau et moue moqueuse, congédiant un prétendant trop insistant d’un « Allons, mon chou, va donc te faire lanlaire ! » tandis qu’elle jette un regard appuyé à un pigeon plus fortuné.
Hélas, la modernité ne prend plus le temps de congédier en musique. Aujourd’hui on coupe court, on bloque, on ghost ! L’impolitesse s’est faite sournoise et le lanlaire a disparu dans les brumes de l’indifférence numérique.
À quoi bon aller se faire lanlaire quand un simple « vu » sans réponse à un message de service court¹ suffit à faire comprendre qu’on n’existe plus ?
Dire à quelqu’un d’aller se faire voir avait rarement eu autant de panache. Alors, en hommage : cher moderne, allez donc vous faire lanlaire.