Nénette et Rintintin [nénèt é rêtêtê]

Nénette et Rintintin

Fig. A. Catalogue 1914 des grands magasins de la Samaritaine. Un couple de Nénette et Rintintin.

[nénèt é rêtêtê] (n. prop. AMOUR.)

Tristan et Iseult, Franck Sinatra et Ava Gardner, Roméo et Juliette, la belle et la bête, Roux et Combaluzier, couples mythiques liés à jamais par leur conjonction de coordination; d’ailleurs ils ne s’envisagent guère sans elle.

Tout immortels qu’ils soient (encore que l’amour du beau Franck ne resta pas totalement fidèle à la belle Ava), ces duos lumineux peuvent aussi passer de la reconnaissance à l’ombre de la désuétude. Mensonge ? Soit, mais alors dans ce cas vous n’aurez pas oublié cet autre couple magnifique : Nénette et Rintintin.

Que tous ceux qui ont pensé à Rintintin, le berger allemand du 101ᵉ régiment de cavalerie de Fort Apache, se rassurent : vous n’êtes pas totalement dans l’erreur. Ce brave toutou acteur né en Lorraine en 1918 fut bien prénommé Rintintin en hommage à Nénette et Rintintin qui font l’objet de cette définition. Mieux encore, Rintintin (le chien) avait une sœur Nénette, tous deux portant les noms des deux poupées fétiches inséparables des soldats du front.

Car Nénette et Rintintin (pas les chiens, les autres) n’étaient pas faits de chair et d’os mais de laine et des sentiments que les poilus mettaient en eux. Les poilus étant bien entendu les combattants de la Grande Guerre et non les deux canins susmentionnés, bien que tout autant poilus que les autres et combattants eux aussi puisque issus d’un chenil de l’armée impériale allemande. Vous suivez ?

Nénette et Rintintin formaient un couple de petites poupées tricotées main qui portait bonheur au soldat qui l’avait reçu de l’arrière, d’une marraine ou d’une promise qui l’attendait patiemment. Rendus célèbres à l’aune de la barbarie mise en œuvre pour massacrer à Verdun ou au Chemin des Dames (c’est qu’il en fallait du porte-bonheur pour échapper à la folie humaine dans cet enfer), Nénette et Rintintin s’installèrent dans la liste des êtres reliés par leur âme, aux côtés des autres inséparables légendaires. À tel point que Pablo Picasso écrivant à Malraux, lui disait : « Les peintres, enfin : les tableaux ! deviennent comme les canards qui ont mangé la même ficelle. Les vieux couples, vous savez ? Peut-être, c’est la France : Corneille et Racine, Ingres et Delacroix, Corot et Daumier, Cézanne et Van Gogh, Nénette et Rintintin… »¹.

Nénette et Rintintin avaient été imaginés et dessinés par Francisque Poulbot, illustrateur célèbre, fondateur de la République de Montmartre, qui légua son patronyme aux titis de la butte glissant sur les rambardes des escaliers et faisant naviguer des navires de papier dans les caniveaux de la rue Lepic. Dès 1913 l’artiste cocardier s’était ému de la conquête allemande sur le monde du jouet français, et avait érigé Nénette et Rintintin en fiers défenseurs du savoir-faire tricolore. Il n’en fallait pas moins pour qu’un tragique 3 août 1914 ils deviennent un symbole.

Nénette et Rintintin survécurent au carnage et sauvèrent certainement plus d’un amour des tranchées embourbées. S’ils ne furent décorés d’une breloque suprême c’est bien parce qu’ils étaient des poupées et qu’une légion d’honneur c’est trop lourd à porter pour un morceau d’étoupe. Mais ils étaient bien des héros et il fallut attendre une autre guerre, alors que la précédente avait juré d’être la dernière, pour que Nénette et Rintintin, fatigués de la folie des hommes, décident de se faire oublier.

Je sais qu’ils vivent toujours leur amour en secret du côté de la butte, mais j’ai promis de ne pas dévoiler leur adresse. Ils tiennent à demeurer surannés.

¹La tête d’obsidienne, 1974, écrit peu après la mort de Picasso.

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