Habiter aux Petites-Maisons [abité o petitmèzô]

Fig. A. Habitants des Petites-Maisons. Jérôme Bosch.

[abité o petitmèzô] (loc. verb. FOL.)

Chaque région de France possède sa propre expression pour désigner sa nef des fous, qui contient généralement le nom de la localité accueillant l’hôpital psychiatrique du coin¹.

On se prévaut, la plupart du temps, de ne pas y loger ou on conseille à un contradicteur d’aller s’y faire examiner d’urgence, le propos ne pouvant évidemment être compris que par les gens du cru².

Il est cependant un de ces établissements qui possède une notoriété dépassant largement sa zone de chalandise, tout simplement parce que l’expression qui est la sienne – habiter aux Petites-Maisons – va être utilisée dans la littérature par les plus grands (La Fontaine, Rousseau, Balzac).

“ J’aurai beau protester ; mon dire et mes raisons
Iront aux Petites-Maisons ”.

Les Oreilles du Lièvre

Devenue en 1557 « hôpital pour des personnes insensées, faibles d’esprit ou même caduques », la maladrerie de Saint-Germain-des-Prés va prendre rapidement le nom de Petites-Maisons du fait de la présence des petites maisons autour de l’établissement (le bon sens du langage suranné).

Parce qu’elle accueille les bourgeois fêlés (les frais d’internement sont élevés et à la charge des familles, sauf pour ceux envoyés ici par lettre de cachet), l’institution va se tailler une réputation bien au-delà du VIIᵉ arrondissement parisien et promouvoir habiter aux Petites-Maisons comme synonyme d’avoir une araignée au plafond, taper dans les gamelles, avoir une chambre à louer.

Habiter aux Petites-Maisons va donc très vite s’imposer dans le pays tout entier pour désigner les personnes mettant le cap sur Anticyre, l’expression atteignant même par la bande la construction immobilière puisque les maisons de villégiature³ du XIXᵉ siècle seront dénommées des folies (mais ceci est une autre histoire, de dingue évidemment).

En février 1979 Maison Bouygues « des maisons de maçon », prend place sur le prometteur marché de la petite maison individuelle. Truelle en main, pied virilement posé sur deux parpaings, le maçon susnommé n’entend pas passer pour un bâtisseur de châteaux en Espagne et se laisser bouffer la marge par une expression pour cinoque : c’est qu’on parle en milliards sur ce créneau du rêve de toute famille française. La petite maison c’est du grisbi, pas du toc-toc.

Selon certains, habiter aux Petites-Maisons a été coulée dans le béton d’un pavillon de banlieue, la prise rapide de ses divers composant assurant qu’elle ne ressortirait pas d’ici de si tôt. Selon d’autres elle a été étouffée par des investissements publicitaires massifs.

Nous ne saurions trancher.

Il est en revanche certain qu’en 1987, quand Maison Bouygues domine enfin le marché, habiter aux Petites-Maisons est totalement surannée.

¹La loi du 30 juin 1838 fait obligation à chaque département de se doter d’un asile d’aliénés.
²« Je ne suis pas de Cadillac » par les gens de Bordeaux, « Va donc à Charenton » pour les gens de l’est parisien, « Toi tu es de Maréville » pour ceux de Nancy, « Va te faire soigner à La Guillotière » pour les Lyonnais, idem pour Leyme, Lommelet, Pontorson, Alençon, Limoux…
³Maisons devenant parfois de tolérance notamment sous le Second Empire.

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