Prendre la mouche [pʁɑ̃dʁ la muʃ]

Prendre la mouche

Fig. A. Toute mouche prise.

[pʁɑ̃dʁ la muʃ] (EXASP. BZZZZ.)

Contrairement à ce que la zoologie pourrait suggérer, prendre la mouche n’a rien à voir avec une chasse aux insectes. L’expression est attestée dès le XVIᵉ siècle, époque où la mouche pouvait désigner une pensée importune, une lubie passagère… ou un accès de mauvaise humeur. Comme une mouche agaçante qui vrombit aux oreilles sans que l’on sache pourquoi ni comment l’arrêter.

Nul ne décidait vraiment de prendre la mouche, que ce soit par les ailes, les pattes ou par derrière¹. Elle s’invitait, tapie dans les replis de l’amour-propre, prête à surgir au moindre frisson d’offense. Bzzzzzzzzzzzz !

Prendre la mouche c’est souvent moins un acte réfléchi qu’une sorte de réflexe conditionné. Cela traduit une hypersensibilité théâtrale, une disposition à croire que tout tourne autour de soi — et que le monde, bien sûr, a mal tourné. C’est la madeleine des égos blessés, la spécialité des querelleurs à l’orgueil frémissant.

Loin des emportements grondants ou des colères froides, prendre la mouche reste une vexation vive, puérile, parfois ridicule, mais toujours spectaculaire. On n’en sort jamais grandi, et rarement oublié.

Un froncement de sourcils, une syllabe de travers, une virgule mal placée dans un bristol suffisent. L’individu piqué prend la mouche avec une promptitude entomologique, battant des ailes d’indignation, bourdonnant de répliques qu’il jugera assassines (mais que tout le monde oubliera dans l’heure).

Il faut dire que la mouche n’est pas une créature d’envergure. On ne l’apprivoise pas, on ne la redresse pas. Elle pique, elle part, elle laisse un petit bouton rouge sur la fierté. C’est tout. Même si c’est déjà trop.

Molière en fit un ressort dramatique, Mme de Sévigné une anecdote de salon, et La Rochefoucauld un sujet de maxime. Prendre la mouche était une manière d’être à part entière, presque une forme d’art de vivre : on s’offensait avec grâce, on se retirait dignement, et l’on attendait qu’on vienne vous supplier, missive éplorée en main, d’oublier cette odieuse insinuation sur la fraîcheur des camélias ou d’une gorge peu couverte qu’on avait su voir.

Pour un compliment trop tiède, un mot doux se trompant de destinataire, la mouche voletait autour des duellistes sur le pré clair à l’aube, ou au moins corsetait de silence et de sourires en berne une bouderie durable. Plus tard, dans les bals du samedi, un regard appuyé et la mouche déclenchait une baston.

Dans sa grande sagesse le moderne a chassé cet insecte importun. Il ne le prend plus désormais.

Peut-être parfois s’évertue-t-il à rivancher en prose avec la bestiole, tout tatillon qu’il est, mais ceci est une autre histoire¹.

¹Honni soit qui mal y pense.

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