Mettre la puce à l’oreille [mɛtʁ la pys a l’oʁɛj]

Fig. A. Je dis ça je dis rien.

[mɛtʁ la pys a l’oʁɛj] (HYG. DOUT.)

En une époque ancienne où les puces n’avaient alors pour seule tache que de gratter la couenne et de diffuser la peste, elles se contentaient de sauter d’un mollet à un col de chemise avec la discrétion que leur conférait déjà leur petite taille.

Aidées par une hygiène sans savon ni lotion, les bêtes du pauvre passaient ainsi en toute facilité du col officier, français ou italien, au lobe charnu (ce qui fait peu de chemin pour une bestiole capable de franchir cent soixante fois sa taille en un bond).

Une présence à l’oreille, certes improbable d’un point de vue purement entomologique, qui a bien logiquement désignéce moment précis où l’on commence à se gratter l’esprit sans en comprendre la raison, et créé l’expression mettre la puce à l’oreille.

Aussi discrète qu’un murmure, aussi perfide qu’une confidence, la puce se mettait à l’oreille à coup de demi-mots, d’allusions sibyllines, de petites phrases semées non pour convaincre mais pour tarauder. Mettre la puce à l’oreille ce n’était pas accuser ni dénoncer. C’était beaucoup plus élégant, beaucoup plus venimeux aussi : c’était semer un doute, distiller un poison. Et comme chacun sait, le doute ne meurt jamais et finit toujours par gratouiller ou par chatouiller. 

L’expression connut ainsi son âge d’or dans les salons feutrés, les romans du XIXe siècle et les lettres recouvertes d’une écriture serrée où la moindre tournure était prétexte à soupçon. Elle s’épanouissait dans les dialogues de Marivaux, se nichait dans les apartés des comédies de mœurs, passait de bouche en bouche comme un petit venin mondain. Le comble du raffinement était de mettre la puce à l’oreille tout en feignant de ne rien dire : une inflexion dans la voix, un regard en coin, et l’âme de l’interlocuteur se trouvait entamée par l’incertitude.

La puce à l’oreille éveillait la vigilance du plus insoucieux des péquins.

Le 25 mars 1974, l’inventeur français Roland Moreno dépose un brevet qui va signer la disparition de l’insecte ptérygote holométabole au profit d’une puce nettement plus moderne puisque électronique. 

Par la grâce des 8 bits d’un Progrès microprocessé porté aux nues par les banques et autres organismes de crédit à taux d’usure, cette puce envahit les cartes au début des années 90. Comble de l’ironie, elle ne murmure pas à l’oreille du prodigue qu’il dépense plus qu’il n’a sur son Compte Courant Postal (CCP); elle l’encourage même à flamber tant elle est facile à utiliser.

Mettre la puce à l’oreille part au rebut.

Le moderne n’a plus aucun doute.

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