L’art de minauder, de faire des manières, de reculer pour mieux céder, avec l’éventail du XVIIIᵉ à la main…

Fig. A. Non.
[ʒwe le miʒoʁe] (LOC. REF. NON !)
Jouer les mijaurées évoquera facilement au lecteur sur pot-de-chambre des années surannés une scène de roman-photo imprimé dans Nous Deux : Sylvie Vartan en demoiselle minaudière, l’éventail à demi-ouvert, qui s’offusque d’un rien et rougit pour la galerie par exemple. Ou encore les aventures de la célèbre Mlle Lenoir, qui rougissait au dessert comme d’autres à la première étreinte.
L’expression désigne alors cette attitude affectée, mi-prude mi-coquette, qui consiste à feindre une modestie exagérée, à se donner des airs délicats… sans forcément convaincre.
Le terme mijaurée viendrait, selon l’éminent linguiste Alphonse de Grandval (Études sur le parler du Gers, 1863), de mi (« à moitié ») et de jaurée, vieille sauce gasconne trop salée. Ainsi, une mijaurée serait une « demi-sauce » : insipide, mais avec un arrière-goût qui pique.
D’après l’un de ses contradicteurs, le dramaturge Désiré Pompignac, l’expression serait née dans les coulisses des théâtres de province plutôt qu’en cuisine. Les actrices de second rôle, qui n’avaient pas droit aux grandes tirades tragiques, se consolaient en jouant les mijaurées — minaudant pour arracher au public quelques bouquets de fleurs. Un ancien glossaire jardinier du Berry signale que mijaourée désignait une rose trop hâtive, ouverte avant l’heure. De là à comparer certaines demoiselles à ces fleurs prématurées… il n’y a qu’un pas que la langue franchit allègrement.
Jouer les mijaurées est tout un art de la comédie sociale. Celui de rougir à bon escient, de cacher ses désirs sous une pièce d’étoffe, et d’orner de perles d’affectation le grand théâtre des convenances. Expression d’une hypocrisie légère qui fait de la pudibonderie affectée ou de la coquetterie mal placée un appel à laisser le chat aller au fromage.
« Elle parlait peu, mais ses silences étaient brodés de soupirs : c’est dire si elle savait jouer les mijaurées. »
— Chroniques galantes de la rue Saint-Honoré, 1842.
Comme le notait le Dictionnaire galant des petites vertus (édition apocryphe de 1874) : « La mijaurée s’offusque du mot mais savoure la chose. Elle ferme la porte aux apparences, mais entrouvre la fenêtre à l’impatience. »
Ainsi, derrière la dentelle fragile des minauderies se cache moins une morale qu’un jeu : celui des regards en coin, des éventails qui parlent et des rougeurs qui mentent. En vérité, jouer les mijaurées, c’est l’art discret de dire non pour mieux laisser deviner oui.
Chose impossible en modernité où l’expression d’un consentement libre et sans contrainte de corps ou d’esprit est désormais la base : quand c’est non, c’est non. Non mais des fois !
