Jeter l’éponge [ʒə.te l‿ɛ.pɔ̃ʒ]

Locution pugilistique devenue art de l’abandon avec panache

Jeter l'éponge

Fig. A. Boxeur sonné.

[ʒə.te l‿ɛ.pɔ̃ʒ] (BOX. ABAND.)

Il peut y avoir de l’élégance dans la défaite. Pour le défait s’entend. Perdre le combat mais pas son honneur, en reconnaissant quand il est encore temps que le costaud d’en face était aujourd’hui le plus fort.

Pour ce faire, point de palabres, de négociations ou d’interventions de diplomates bavards. Un geste simple, net, sans appel, chargé d’une noblesse fatiguée : jeter l’éponge.

L’expression nous vient tout droit du monde de la boxe anglaise — celui des cordes, des crochets, des rounds qui n’en finissent pas et des entraîneurs à moustache. Sur le ring, c’est le second (l’assistant du boxeur) qui, voyant son poulain vaciller comme un lampadaire un soir de tempête, décide de jeter l’éponge dans le ring. Oui, une vraie éponge. Celle qui servait à essuyer le sang, la sueur, et les illusions. Jeter l’éponge, ce n’est pas renoncer, mais accepter la défaite avec une dignité de boxeur essoré. Et ça, c’est tout un art.

Ce jet d’éponge signifiait l’arrêt du combat, souvent pour éviter que le boxeur ne soit transformé en carpaccio devant un public à qui le goût du sang ne déplaisait pas totalement. Il en fallait du courage pour se battre, mais aussi pour savoir quand arrêter les frais. Jeter l’éponge est en cela une forme d’élégance dans la reddition.

La vie ordinaire s’apparentant souvent à un combat, l’expression a quitté les rings pour entrer dans le langage quotidien. Et l’on s’est mis à jeter l’éponge en amour, au travail, à l’école, à la salle de sport et même face à un meuble suédois au montage compliqué. Quand l’obstination devient absurde, quand la défaite est parfois plus digne que le ridicule, mieux vaut jeter l’éponge.

Après avoir relevé le gant, autre geste esthétique, on prend acte du réel avec lucidité; tout combat n’est pas bon à mener jusqu’au chaos final. Jeter l’éponge c’est aussi une déclaration de paix intérieure.

En devenant rose pour la salle de bains, en se dotant d’un côté irritant pour mieux gratouiller la saleté en cuisine, en se muant magique pour requinquer le rugbyman plaqué, l’éponge a laissé tomber le puncheur sonné.

La langue moderne l’a abandonnée – sans élégance cette fois – lui signifiant au passage que nul ne comprendrait son geste si elle devait dorénavant être balancée, et qu’elle ferait mieux de rester à sa place, avec les serpillières et les torchons.

Laisser un commentaire