Locution sentimentale et nominale, apparue au XIXᵉ siècle, aujourd’hui classée dans le rayon des délicatesses sentimentales et des mièvreries assumées

Fig. A. Fleur bleue.
[ɛtʁ‿flœʁ blø] (loc. adj. et subst., XIXᵉ siècle, MIEV.)
Lorsqu’une expression plonge ses racines dans la littérature allemande du début du XIXᵉ siècle, cela la classe immédiatement dans la catégorie des choses vaguement sérieuses en sus d’être surannées.
C’est donc dans Henri d’Ofterdingen, roman inachevé de Novalis (1802), que la fleur bleue fait sa première apparition symbolique. Elle y représente la quête de l’absolu, de l’amour idéal, de la poésie transcendante… Reprise ensuite par les romantiques français, la fleur bleue s’est muée au fil du temps en cette figure un peu mièvre, souvent cucul la praline, qu’on aime bien moquer gentiment.
C’est le rêveur qui croit encore aux lettres manuscrites, qui offre des roses séchées dans des bocaux et qui écoute un slow de Joe Dassin avec un regard perdu dans l’au-delà des souvenirs. C’est la sentimentale qui essuie une larme devant un film de Noël en dévorant des chocolats, ou la mélancolique qui soupire quand deux pigeons sur une branche se frottent le bec.
Être fleur bleue c’est croire, envers et contre tout, qu’un regard suffit pour tomber amoureux, qu’un message laissé sous l’essuie-glace peut changer une vie, et que l’amour l’emporte toujours à la fin (même si parfois, il meurt tuberculeux sur un divan de velours cramoisi). C’est aussi faire preuve d’une candeur désarmante face à la cruauté du monde. Là où le winner moderne hausse un sourcil et glisse un doigt négligent sur son téléphone intelligent pour influencer de Tokyo à LA, la fleur bleue espère qu’un inconnu va lui offrir des fleurs (mais ça c’est l’effet Impulse® et donc une autre histoire).
L’expression est une caresse et une pique à la fois, permettant de sourire devant le naïf sans jamais le condamner (et peut-être même en l’enviant secrètement). Car la fleur bleue croit aux choses inutiles, aux promesses faites sous la pluie d’été, aux non-dits devant un soleil qui se couche. Et le plus belliqueux des guerriers, armé jusqu’aux dents, finit toujours par déposer son épée quand une fleur bleue se glisse dans son armure. Elle n’a pas besoin de fracas ni de victoires éclatantes : un simple parfum de glycine suffit à désarmer les cuirasses les plus coriaces. Elle sait que derrière chaque cynique se cache un romantique en quarantaine.
On dit même que la fleur bleue a inventé l’art de regarder tomber la pluie sans parapluie, celui de plier soigneusement les billets doux comme on plie un secret.
Le monde moderne, lui, ricane : il préfère les algorithmes aux coïncidences, les likes aux lettres parfumées, les livraisons en moins de 24 heures aux rendez-vous incertains. La fleur bleue y a fané.

