
Fig. A. Quand le bâtiment va, tout va.
[ɛtʁ dy batimɑ̃] (***. HOMO.)
Les métiers ont toujours façonné le langage, et le pouls de l’économie, celui pour lequel quand ça va tout va, le bâtiment, n’échappe pas à la règle.
Avec son argot coloré des mille langues de ceux qui le font, ses expressions pleines d’une imagination débordante et son art de la litote, il a offert à la langue française l’une de ses tournures les plus secrètes : être du bâtiment.
À l’origine, être du bâtiment signifie simplement appartenir au corps des artisans du gros œuvre, des maçons aux couvreurs en passant par les charpentiers et autres tailleurs de pierre. Un homme du bâtiment est donc un professionnel du chantier, celui qui sait monter un mur droit, poser une toiture étanche ou couler un béton qui tiendra debout plus d’une saison.
Mais, comme souvent, la langue a joué de ses détournements facétieux et l’expression a pris un tout autre sens au fil du temps. Dès le XVIIIᵉ siècle, être du bâtiment désigne non plus l’honnête compagnon à l’équerre et au compas, l’ouvrier de la truelle et du fil à plomb, mais l’homme qui préfère les charpentes masculines aux charmes féminins.
Le bâtiment a simplement été l’élu de ces grands corps où la proximité conjuguée à la virilité favorisait l’éclosion d’exultations fraternelles. Même sans présence féminine (il n’y a alors ni maçonnes ni charpentières) il faut bien que le corps exulte.
Notons qu’aurait pu aisément surgir être du régiment, être de l’Automobile Club de France, ou être de la marine marchande, institutions elles aussi peu portées sur la gent féminine, mais c’est dans la pierre de taille que l’expression a voulu se graver. Dès lors on dira aussi bien du Sergent préféré du Capitaine des Dragons, de l’amateur de belles mécaniques ou du Capitaine au long cours toujours pipe au bec qu’il est du bâtiment, peu importe qu’il sache gâcher du béton ou non.
In the Navy, come on and join your fellow, man
Jusqu’en 1981, date à laquelle la France rejettera le classement par l’OMS de l’homosexualité comme maladie mentale, le bâtiment abritera les amours masculines interlopes. Le double sens aura protégé comme il le pouvait Ganymède, mignons, gitons et androgames d’une vindicte alors réglementaire.
Succès des Village People aidant à l’évolution de tous ceux se trémoussant bien naïvement sur les rythmes disco et les paroles d’In The Navy ou de YMCA, être du bâtiment perdra de sa superbe au profit d’un affichage haut en couleurs.
Le moderne ne fait désormais plus dans l’architectural pour évoquer ses inclinations sentimentales. Il donne dans l’arc-en-ciel et dans un sigle long comme le bras. S’il a gagné en liberté, il n’est pas certain que l’amoncellement de lettres s’étendant un peu +++ chaque jour fasse dans le moins codifié.