Être dans de beaux draps [ɛtʁ‿dɑ̃ də bo dʁɑ]

Locution fâcheusement imagée pour qui s’est mis dans la panade

Beaux draps

Fig. A. De beaux draps.

[ɛtʁ‿dɑ̃ də bo dʁɑ] (FÂCH. MOUIS.)

Il fut un temps — si, si — où être dans de beaux draps était une affaire de bon goût, une marque d’élégance, voire une promesse de confort.

Les draps n’étaient pas encore synonymes de bourbier mais bien d’étoffes nobles, de parures délicates, de tissus exquis donnant de quoi se pavaner avec superbe en société. Ils étaient de soie lyonnaise tissée sur les pentes de la Croix-Rousse, et le puissant plein aux as adorait y péter histoire de prouver qu’engranger du grisbi l’autorisait à tout¹.

Les beaux draps, c’étaient aussi les habits du dimanche, ceux dans lesquels on se présentait à la cour ou à l’office, selon qu’on visait le trône ou le pardon divin. Dans tous les cas on s’en parait pour une audience en haut lieu.

La langue française — taquine comme on la connaît — adorant retourner sa veste tout en gardant le même gilet, fit en sorte que ce qui était flatteur devint moqueur. Pour le plaisir de l’ironie, être dans de beaux draps passa donc du compliment textile à la moquerie circonstancielle. L’élégance de la soie fit place à l’absurdité du pétrin, et le costume du courtisan se changea en camisole de l’embarras.

Longtemps, l’expression s’utilisa pour dépeindre avec une malice aussi bien repassée qu’un torchon du dimanche, une situation particulièrement fâcheuse. Pas une petite contrariété. Plutôt un moment gênant, ennuyeux, parfois irrattrapable, dans lequel le sujet concerné s’était fourré avec l’enthousiasme d’un enfant qui sauterait dans une flaque d’eau, tout habillé en blanc (même si ceci est une autre histoire, que celui qui n’a jamais bousillé ses Clarks neuves dans une flaque nous jette la première pierre).

L’expression avait cette merveilleuse faculté d’emballer les catastrophes dans sa formule soyeuse, et l’accident industriel de devenir pudiquement un petit contretemps. Sans pour autant leurrer personne.

Pamphlet et pasquinade étant alors communs, chacun maîtrisait l’antiphrase et comprenait que celui qui s’était réveillé dans de beaux draps se trouvait en bien dommageable posture. Embourbé, empêtré, englué… mais avec élégance, c’était déjà ça.

Sans qu’aucune raison valable ne puisse être invoquée², les parures de lit se mirent bientôt à s’orner de figures tutélaires. Draps chevaux camarguais au galop, draps Goldorak, draps Johnny dédicacés par l’artiste ravirent le moderne au goût sûr.

Être dans de beaux draps avait fini sa mue. Chacun pouvait désormais y être, esthète du roupillon ou mirliflore de la sieste. L’expression terminait sa carrière en se mordant la queue.

¹NDLR. On ne parlait pas encore de nouveau riche.
²L’augmentation des ventes n’est pas considérée ici comme une raison valable.

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