Locution imagée et nourricière

Fig. A. C’est l’heure du petit lait.
[bwaʁ dy p(ə)ti lɛ] (LACT. SATISF.)
Satiété du corps et de l’amour-propre trouvent toujours en langue française une expression où elles convergent. Un peu comme si se taper la cloche et se regarder le nombril étaient les préoccupations majeures de ceux qui usent de cette parlure. Il faudra un jour étudier la question… Éludons-la pour le moment.
Il y a donc dans l’expression boire du petit lait tout un monde de douceur, que ce soit celle d’un univers ouaté où l’ego se roule avec volupté dans les draps moelleux de la flatterie, ou celle du réconfort bienveillant d’un petit verre de lolo encore chaud.
On ne boit pas du petit lait comme on boit un café nerveux ou même une tisane nuit tranquille — non. On le savoure. Lentement. Avec ce rictus de contentement que seuls ceux qui viennent d’être publiquement félicités, encensés ou subtilement adulés peuvent arborer sans rougir.
Quand on se laisse caresser dans le sens du poil
Boire du petit lait c’est ce moment suspendu où l’on reçoit un compliment sans fausse modestie, où l’on se laisse caresser dans le sens du poil sans même feindre l’ennui. C’est le plaisir éhonté de se savoir apprécié des puissants, remarqué par la masse, distingué du commun. Le méritant qui est fait chevalier et se voit épingler au revers un ruban rougeoyant plus que lui, boit du petit lait lorsqu’une huile lui susurre à l’oreille combien il a fait pour la Nation (y compris si c’est une chanson classée au hit parade, mais ceci est une autre histoire).
L’expression nous vient de la réalité champêtre que l’exode rural a classée au rebus, avec ce petit lait servi aux malades, aux falots, aux enfants, ou aux estomacs fatigués, comme un remède qui allait requinquer le souffreteux et le vaseux. Arrivée en ville, haut lieu du pouvoir sur les hommes, elle tournera un peu pour sourire des figures qui jouissent de leur propre succès avec le rose aux joues. Mais rien de bien méchant, rien qui ne fasse basculer le buveur vers une fierté triomphante, une jubilation explosive, une rodomontade de crâneur. Avec le petit lait on reste dans le registre intime, pas dans la fatuité.
Le moderne qui n’aime rien tant que ses contemporains sachent combien il est un chic type ne pouvait se contenter de cette simplicité lactée. Boire du petit lait n’était pas adaptée à sa soif de pouces levés ou de cœurs énamourés au bas de ses compte rendus électroniques et publics d’une charité bien ordonnée (commençant donc par lui-même). Le bon prince serait plutôt empesé de la gourmette (mais de cette expression là, il n’use pas plus).
