
Fig. A. L’Avare.
[avwaʁ de uʁsɛ̃ dɑ̃ le pɔʃ] (MÉTAPH. PÊCH. RADIN.)
Parmi la liste officielle¹ des pêchés capitaux il en est un que ses adeptes croient hérité du bon sens paysan ou marin, de la sagesse proverbiale de ceux qui nourrissent les hommes.
Que nenni.
Les radins qui promeuvent l’avarice comme vertu plutôt que vice se vautrent tant dans le pêché que la langue a cru bon de créer une métaphore pêcheresse elle aussi pour rendre compte de leur impensable penchant : avoir des oursins dans les poches.
Depuis l’Antiquité, l’oursin qui peuple abondamment les fonds méditerranéens, jouissait d’une épineuse réputation. D’une saveur délicate mais défendu par des piquants redoutables, l’échinidé était difficile à cueillir. Il n’y avait donc qu’un pas à franchir pour le glisser dans les poches des pingres notoires, illustrant ainsi avec ironie leurs difficultés chroniques à sortir le moindre sesterce, denier ou louis d’or. Un pas que la langue française a franchi sans remords.
L’expression s’épanouit pleinement au XVIIᵉ siècle grâce au génie satirique de Molière, qui immortalisa l’avarice dans son personnage d’Harpagon. Une scène prétendument apocryphe de l’Avare nous révèle d’ailleurs qu’elle était déjà en vigueur :
ACTE III, Scène V
LA FLÈCHE
Monsieur, il serait fort à propos que vous donniez quelques écus à ces pauvres bougres qui attendent dehors, leur état est misérable.
HARPAGON, s’emportant.
Quelques écus, dis-tu ? Comme tu y vas, pendard !
Te crois-tu en la demeure d’un prince prodigue,
Qui répand son argent sans compter ni mesure ?
Sais-tu point ce que c’est, morbleu, que de gagner
Ces beaux louis d’or, que tu voudrais ainsi semer ?
J’ai, te dis-je, des oursins dans les poches,
Et chaque pièce que tu rêves d’en sortir
Y demeure piquée de cent pointes acérées !
LA FLÈCHE, à part.
Pour sûr, ces oursins-là piquent plus encore celui qui donne que celui qui reçoit !
HARPAGON
Qu’as-tu dit, misérable ?
LA FLÈCHE
Rien, Monsieur, je songeais seulement à la douleur que doivent vous causer ces terribles bêtes marines.
Sans doute soumis à la pression de quelques uns de ses créanciers, l’auteur préférera faire plus sobre et se contenter d’un « la peste soit de l’avarice et des avaricieux ».
Ce n’est que partie remise puisqu’au XIXᵉ siècle, avoir des oursins dans les poches fleurit particulièrement à Paris, ville réputée pour ses grippe-sous légendaires, évoqués notamment par Balzac, qui décrit avec génie les usuriers et les avares dont les poches semblent définitivement condamnées par des pointes invisibles mais ô combien réelles.
Parvenu en modernité et toujours autant apprécié des gourmets, l’oursin s’accroche à son rocher tandis que le chichard désormais armé de ses applications mobiles et de ses paiements dématérialisés, continue d’exercer. Bien entendu, puisqu’il a banni le grisbi et ses espèces sonnantes et trébuchantes, il n’a plus à farfouiller ses poches au moment de payer. Plus de risque de s’entendre reprocher qu’il a des oursins dans les poches. Il se croit sauvé ce vilain puisqu’il n’oit plus l’expression !
Qu’importe : qu’il compte (et recompte) en sesterces, en louis d’or, en euros, en crypto, l’avare demeure ce qu’il a toujours été — vil et bien plus piquant que n’importe quelle châtaigne des mers.