N’en jetez plus, la cour est pleine [nâ Zeté ply, la kur è plèn]

N'en jetez plus, la cour est pleine

Fig. A. Troubadour éconduit par la mort. Allégorie.

[nâ Zeté ply, la kur è plèn] (exclam. ÉNERV.)

Quand ça déborde, quand j’en peux plus, quand c’est la fin, d’un tout, d’un rien, quand vraiment ça m’énerve, ça m’exaspère, ça me fiche les abeilles, quand vous dépassez la limite, quand ça m’agace ou ça m’irrite, quand j’suis chafouin, quand j’ai envie de tout jeter, quand ça me tape sur le système, quand aussi ça me court un peu trop sur le haricot, quand ça me gonfle (et souvent ça me gonfle), parce que je suis un Vieux con du Club des surannés, je dis : n’en jetez plus, la cour est pleine.

Si par malheur pour lui, un moderne à qui s’adressait l’instruction venait à remplir un peu plus cette cour qui déborde de partout, le vilain apprendrait alors à ses tristes dépens à connaître Raoul. Parce que moi aussi les dingues je les soigne. Moi aussi, quand on m’en fait trop, je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile !¹

Et des affreux et des affreuses j’en ai croisés plus qu’il n’en faut. De ces pignoufs, de ces indélicates, qui m’ont usé jusqu’à la moelle. Non que j’en eu beaucoup douté (quoi que je reste un doux rêveur) mais j’ai pu grâce à eux constater que l’élégance vestimentaire et la plastique avenante n’allaient pas nécessairement de paire avec l’élégance morale. Tout comme mémé ils m’ont poussé dans les orties ces gougnafiers, croyant mais un peu vite que j’y demeurerais couché; ça m’a piqué, ça m’a même fait pleurer (je suis d’un naturel douillet) mais je me suis relevé.

Comme me voici debout je leur dis donc ici : n’en jetez plus, la cour est pleine. Vous m’avez eu n’en parlons plus, mais n’y revenez pas. Laissez-moi sur mon île, je vis à moitié nu je n’ai besoin de rien et surtout pas de vous. Je m’en veux même un peu de vous parler ainsi, j’aurais tellement préféré oublier. Apprenez pour la peine que n’en jetez plus, la cour est pleine nous vient des années surannées où des chanteurs de rues arpentaient les chaussées de Paname en donnant des aubades. S’ils étaient satisfaits les citadins entassés jetaient du haut de leurs fenêtres une piècette à l’artiste. Mais s’ils étaient radins, c’étaient des invectives ou bien même des ordures qu’ils balançaient en bas. Dans ce cas bien précis le trouvère éconduit leur disait ironique : n’en jetez plus, la cour est pleine.

On ne chante plus dans les rues, les troubadours ont disparu, mais les radins ont survécu, l’engeance à la peau dure. Mais moi j’ai le cuir bien tanné. Entendez bien ceci c’est un coup de semonce : n’en jetez plus, la cour est pleine.

¹Les Tontons flingueurs (1963 – suranné), Michel Audiard.

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