Changer de crémerie [SâZé de krémeri]

Changer de crémerie

Fig. A. Beurre, œufs, fromages.

[SâZé de krémeri] (loc. modif. BOF)

En amour comme en affaires l’habitude vient parfois fatiguer, à tel point que le salut est alors dans l’ailleurs.

Il se dira dès lors de l’éreintée ou du blasé, du las et de la lasse, dans un parallèle comme seul le petit commerce français peut le créer, qu’ils ou elles envisagent de changer de crémerie.

Boutique de BOF¹ chérie d’un peuple pour qui les produits laitiers sont les meilleurs amis pour la vie², la crémerie prend son essor durant la deuxième moitié du XIXe siècle, occupant le moindre coin de rue avec son pas de porte qui aguiche l’amateur de crème fouettée. Le lait nourricier et ses diverses transformations attendent le chaland qui reviendra plusieurs fois par semaine puisque le réfrigérateur ne ronronne pas encore dans les cuisines, permettant à la crémière de faire de l’argent de son beurre (ce qui aura pour effet de rendre son postérieur hautement désirable mais ceci est une autre histoire).

Changer de crémerie ne se fait pas à la légère

Paradoxalement changer de crémerie s’opère en en faisant tout un fromage tant la décision de rompre est lourde : changer de crémerie ne se fait pas à la légère. Mais lorsqu’il est écœuré par son fromage blanc quotidien ou fatigué de ses œufs en couille d’âne qui ne le font même plus marrer lorsqu’il les commande, le client change de crémerie.

Plus qu’un Munster trop discret, plus qu’une crème chantilly affaissée, seule une profonde déception peut inciter un fidèle à changer de crémerie. La décision est si lourde qu’elle fera expression dans la langue commune, s’appliquant peu à peu à toute volte-face ou grand chambardement, y compris hors BOF¹.

Ainsi, avec le succès, changer de crémerie concernera aussi bien le grand abatteur de quilles que l’inconditionnel de Peugeot passant chez Citroën, l’amateur de Bordeaux s’adonnant au Bourgogne, l’adepte du parti d’en rire s’encartant chez celui d’en pleurer.

La fin du petit commerce de détail la rendra désuète.

Ficelé par la facilité de remplir son panier en un seul et même lieu, le consommateur moderne n’a pas en tête de changer de crémerie. Il oublie la crémerie, le beurre, l’argent du beurre et la crémière et s’avitaille en supermarché.

Et même si là, la tentation de lâcher son yaourt goût bulgare pour une nouveauté au bifidus actif le prenait, il ne saurait utiliser l’expression devenue surannée.

¹Beurre, Œufs, Fromages.
²1981.

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