Aller voir Bernard [alé vwar bèrnar]

Fig. A. Saint-bernard cherchant des Parisiens perdus.

[alé vwar bèrnar] (loc. perso. WC.)
Avant d’être un gros chien-chien à son pépère trimbalant un tonnelet de schnaps et venant en aide aux touristes parisiens perdus dans la montagne, Saint Bernard était Bernard de Fontaine, abbé de Clairvaux, petit bonhomme chétif au charisme affuté par ses qualités littéraires¹.

En bon érudit qu’il est, Bernard rédige de nombreux ouvrages² qui vont lui tailler une réputation telle que le bon homme se verra toujours représenté un bouquin à la main. Malheureusement pour lui, le Saint ne passera pas à la postérité pour cela, barré à la fois par le toutou sympathique aux bajoues et oreilles tombantes et l’expression aller voir Bernard qui lui doit tout de même son existence.

Quiconque va voir Bernard y va souvent avec un livre – car l’entrevue peut durer – et rend en cela un infime hommage au directeur de conscience de l’ordre cistercien.

Car aller voir Bernard c’est aller aux toilettes, dans la version châtiée du langage suranné.

Une formule un tantinet précieuse le plus souvent employée par des femmes qui répugnent à claironner qu’elles vont se repoudrer le nez ou qui craignent que leur accent espagnol ne soit surfait si elles utilisent aller au buen retiro.

Aller voir Bernard justifie aussi pleinement le déplacement avec un ouvrage de lecture sous le bras qui autorisera le prolongement de la durée du bail aux gogues³ (toujours en hommage au Saint lettré). Notons aussi qu’à une époque où Lotus et ses produits de cellulose à usage unique n’existent pas encore, aller voir Bernard avec du papier peut éviter le cachet de la mairie et les complications qui en découlent, même si un exemplaire du Prologus in graduale Cisterciense « Sicut notatores antiphonariorum præmunivimus » de Bernard de Clairvaux ne constitue pas a priori du papier pour écrire à Guillaume.

Le marché du petit coin progressant (plus de 800 millions d’euros par an en France pour le papier toilette et près de 300 millions pour la céramique sanitaire), le lieu d’aisance deviendra un enjeu économique de premier ordre qui ne peut donc tolérer un langage suranné : quand on parle gros sous on le fait en franglais et en PowerPoint®, c’est une règle moderne.

Aller voir Bernard est donc bannie du discours vespasien et rejoint dans les limbes surannés le saint patron qui l’avait inspirée.

Le 20 août de chaque an, Saint Bernard est fêté, c’est son jour. Et chaque 19 novembre, c’est la journée mondiale des toilettes. C’est aussi un peu son jour, même si officiellement c’est une toute autre histoire.

¹Canonisé en 1174.
²Sancti Bernardi Opera, Prologus in graduale Cisterciense « Sicut notatores antiphonariorum præmunivimus », De gratia et libero arbitrio, De præcepto et dispensatione, etc.
³Les trois années passées en moyenne dans une vie là où le roi va seul seront ainsi mises à profit.

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