L’ai-je bien descendu ? [lé-Z bjê désâdy ?]

Fig. A. Cécile Sorel et quelques pigeons.

[lé-Z bjê désâdy ?] (interro. ego. CASINO.)

S‘il est plus que probable que des pistoleros de l’armée mexicaine l’avaient prononcée avant Cécile Sorel (mais dans de toutes autres circonstances), c’est pourtant à la belle que la postérité a décidé d’attribuer l’expression questionnante désuète l’ai-je bien descendu.

L’ai-je bien descendu ne constitue donc en aucun cas une interrogation posée par un spadassin sur la qualité de son travail au six coups devant le cadavre fumant d’un ennemi, mais relève plutôt de l’autosatisfecit mondain qui n’attend pas vraiment de réponse.

L’expression nous vient du Casino de Paris et de la première de la revue « Vive Paris » menée par Cécile Sorel, en 1933. C’est que la coquette de soixante ans qui vient de quitter la Comédie-Française pour le music-hall, avait un peu l’angoisse de se vautrer dans les célèbres marches de l’escalier Dorian qui brisa plus d’une cheville et carrière de danseuse légère. Prendre un billet de parterre n’a jamais été bon quand on porte haut et qu’on est une extravagante régnant sur le Tout-Paris.

Soulagée alors qu’elle parvient au bas des marches couvertes d’or avec son casque à plumes, sa traîne de velours et un costume pesant le modique poids d’une quinzaine de kilos, elle balance à Mistinguett, ancienne reine des lieux passée au Moulin Rouge qui est là en spectatrice, son l’ai-je bien descendu.

Avec son ton très haut public qui caractérise les divas de la scène, la Comtesse du Mariage de Figaro, l’Elmire de Tartuffe, la Jacqueline du Chandelier, la Marianne des Caprices de Marianne et surtout la Célimène du Misanthrope mouche tous ceux et toutes celles qui guettaient sa chute.

C’est que Cécile Sorel, comtesse de Ségur, comédienne la plus élégante selon le classement de Je sais tout (mars 1905), n’est pas n’importe qui.

Croqueuse d’hommes adulée par les puissants (Edouard VII demanda au président Félix Faure de lui présenter la donzelle, imaginant certainement la convier dans sa baignoire à champagne de cuivre rouge délicatement surmontée d’une sphinge du Chabanais¹), femme libre bien que mariée à Guillaume de Sax, précieuse vivant au milieu de perroquets, de paons, de pigeons (oiseaux) et de pigeons (humains), maîtresse d’un lion répondant au nom d’Hamid, la précieuse poulette aime le luxe tapageur, les grands vins et les tenues qui mettent ses charmes en valeur.

Aussi un l’ai-je bien descendu balancé de la sorte résonne-t-il un peu comme un « Non mais allô quoi » de l’époque moderne et nabillesque (nos lecteurs djeun’s comprendront).

Le Casino de Paris qui en avait pourtant vu d’autres côté succès avec Mistinguett, avec Joséphine Baker dans « Paris qui remue » et « La joie de Paris » (1932), devient un mythe grâce à la 339ᵉ sociétaire du Français et son l’ai-je bien descendu.

Henri Varna, son directeur, imaginant bien en tirer quelque publicité, fait de l’expression une manière unique de toiser les envieux. L’usage populaire fera le reste.

C’est la passion moderne pour les escaliers mécaniques qui aura raison de l’ai-je bien descendu.

Fournissant l’effort nécessaire à la montée ou la descente du moindre dénivelé en lieu et place du bien portant un peu fainéant, l’Escalator enverra l’ai-je bien descendu rejoindre Cécile Sorel en surannéité. Elle l’y attendait depuis 1966, quand à l’âge de quatre-vingt douze ans elle avait fini par se casser la margoulette et le col du fémur sans pouvoir s’en remettre.

¹Cf. faire le grand Chabanais.

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