Faire péter la roteuse [fèr pété la ròtöz]

Fig. A. Champagne !

[fèr pété la ròtöz] (loc. verb. CHAMP.)

L‘enthousiasme de la langue surannée la pousse parfois à concocter des expressions pas piquées des hannetons, y compris pour célébrer en fanfare avec l’un des plus nobles breuvages que le terroir et les cépages aient bien voulu nous donner.

N’y lisons aucune vulgarité même si les éructations invoquées ici ne sont pas de prime abord du meilleur savoir-vivre en société. De fait, l’expression évoquée ci-après demande une certaine maîtrise des interactions sociales dans le cadre desquelles elle pourrait s’utiliser. Soyez prudent.

En effet, faire péter le roteuse use et abuse des gaz œsophagiens, leur intimant l’ordre de sortie par expiration buccale et par éjection anale, ce qui, convenons-en, peut s’avérer malséant y compris lors de la fête annuelle de l’amicale des anciens de quelque formation d’élite qui soit : 2ᵉ REP, ENA, ENS, etc.

Faire péter la roteuse fait référence au son émis par le bouchon de champagne, légère déflagration considérée comme normale au XVIIIe siècle quand on faisait sauter le bouchon dudit breuvage, mais qui se heurta à un abandon soudain lors d’un Second Empire plus discret en sonorités. L’expression fut néanmoins maintenue au goût du jour par tout ce que les XIXe et XXe siècles comptèrent comme jouisseurs poètes et artistes toujours prêts à faire péter la roteuse pour fêter un vers rimant riche, une toile touchée par la grâce ou une muse peu farouche.

En faisant péter la roteuse, ces sybarites saltimbanques prenaient de sacrés risques car le bouchon est propulsé à une vitesse de treize mètres par seconde soit beaucoup moins de temps qu’il n’en faut pour atteindre un convive tout prêt à s’abreuver. Cela dit Henry Miller, Hemingway, Françoise Sagan, Frédéric Dard, Truman Capote firent plus qu’à leur tour péter la roteuse sans éborgner quiconque.

Une modernité plus policée veut qu’on incline désormais la bouteille et dégage la boucle du muselet tout en maintenant le bouchon pour éviter son bruit suspect, puis qu’on fasse tourner délicatement le corps de la bouteille pour dégager le bouchon dans un délicat chuintement qui fera dire aux plus salaces qu’on fait toujours péter le roteuse, tout simplement plus dignement. Nous leur laissons leur libre appréciation scatologique.

Non, on ne fait aujourd’hui plus péter la roteuse, l’inconvenance des bambocheurs du Montparnasse et du Montmartre des années folles qui vidaient des bouteilles à la Closerie ou aux Deux-Magots ayant disparu avec Le Pétomane¹ et ses spectacles dans les salons du Moulin Rouge. Si Paris est une fête², elle doit sa faire sans bruit, ça pourrait réveiller les voisins.

¹Joseph Pujol, dit Le Pétomane, 1

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