Jules [Zyl]

Jules

Fig. A. Jules de chez papy et mamie. Puces de Clignancourt.

[Zyl] (n. pro. PIPI.)

Les prénoms surannés sont parfois complexes à porter en pleine modernité.

Dans la cour de récré, les Fulgence ne sont pas toujours bienvenus, les Archibald sont transformés en Haddock et les Mahault doivent épeler pour ne pas passer pour un grand timonier…

Les Arthur se font appeler comme tels, qu’ils le méritent ou pas, les Mathieu sont fessés pour radinerie, qu’il soient avares ou non, et Daniel et Valérie jouent dans la cour pendant que maman cuisine et papa fume la pipe.

Mais ils sont malgré tout bien mieux traités que Jules. Car tout suranné qui se respecte sait qu’il est allé à la lisbroque chez Jules. Et ça, ça vous marque un prénom…

Souvenez-vous de Jules, il attendait dans la partie basse de la table de nuit de cette chambre d’enfant, chez papy et mamie, là-bas à la campagne. Et il était plutôt utile ce brave Julot car redescendre en pleine nuit les deux étages et l’escalier grinçant pour aller faire pipi c’était nettement risqué.

Jules était fait de faïence comme tous les pots de chambre

Jules était fait de faïence comme tous les pots de chambre qui portent le même nom, et il était le noble descendant d’une lignée qui remontait au moins jusqu’à l’empire Romain puisque la figée Pompéi nous rappelle en graffitis sur ses murs : miximus in lecto, fateor, peccavimus, hospes. Si dices quare, nulla matella fuit¹.

C’est d’ailleurs peut-être de cette période romaine et d’un Jules empereur que vient la dénomination du vase de nuit réceptacle à besoins urgents, mais aucune thèse dûment documentée ne s’est assez penchée sur ce point pour que nous puissions faire autrement que le supputer.

Attention, n’en faites pas cependant une lecture méprisante : le Jules était un couvert banal de la Rome antique et l’on pissait à table pendant les orgies tout comme l’on mangeait avec la fourchette du père Adam. Autres temps, autres manières.

Jules décline au fur et à mesure que ceux qui se sont soulagés dans sa cuve de porcelaine sont en âge de choisir le prénom de leur futur enfant.

Ainsi en 1979, année charnière de la période surannée, l’état civil n’enregistre-t-il que vingt cinq naissances de petits Jules. Ils seront plus de cinq mille en 2015, preuve s’il en est que le Jules nocturne est bien devenu suranné, totalement oublié depuis que la maison de papie et mamie a été vendue, inconfortable qu’elle était sans sanitaires à l’étage, avec son brinquebalant chauffage central et avec sa vieille baignoire sabot. C’est dommage, moi j’aimais bien les vacances à la campagne (mais ceci est une autre histoire).

J‘ai croisé Jules récemment, dans une brocante de trottoir pour urbain affairé en recherche du passé. Le type qui monnayait ses années écoulées à prix d’or ne connaissait même pas son prénom. Il se prenait pour un vieux con suranné alors qu’il n’était qu’un moderne marchand. J’ai fait un clin d’oeil à Jules, le faiseur de chine m’a pris pour un fou.

¹Nous avons pissé au lit, nous avons eu tort, cher aubergiste, je le reconnais. Si tu veux savoir la raison, c’est qu’il n’y avait pas de pot de chambre.

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