Catégorie : Faits divers

Rentrer à l’heure des brousses [râtré a lër dé bʁus]

Fig. A. Fêtard rentrant à l’heure des brousses.

[râtré a lër dé bʁus] (loc. mérid. NOCT.)

Dans un pays où, selon la bonne formule attribuée au Général¹, « il existe plus de fromages que de jours de l’année », il aurait été curieux qu’aucun de ces nourrissements laitiers n’alimente aussi la langue en sus du palais.

Fromage frais généralement au lait et au lactosérum cuit de chèvre, la brousse est fabriquée dans le sud-est de la France, là où la faconde chantante trouve un terrain naturel à l’exercice d’une créativité débridée certainement affûtée au Perniflard ou au Ricmuche, mais ceci est une autre histoire. C’est donc de cette pâte blanche et grumeleuse qu’il est question quand se dit rentrer à l’heure des brousses.

C’est que le producteur qui descend à pied du Rove pour vendre sa production sur le Vieux Port quitte tôt son village provençal et rentre bien tard à la ferme. Peut-être est-il allé aux carreaux brouillés rue Lanternerie ou rue Bouterie – dans le Secteur Réservé – ce qui expliquerait facilement le retard, mais ce n’est pas cette option que retient l’expression qui entend simplement signifier que celui qui est rentré à l’heure des brousses est rentré tard. Rien de plus, rien de moins.

Langue méridionale bien pendue aidant, rentrer à l’heure des brousses s’entendra plus d’une fois en ces temps où l’aube naissante accompagne au bercail le danseur de mia de retour du New Starflash Laserline Hatchin’ Club (ou du Macumba), sonnant comme un reproche mineur puisqu’il faut bien que jeunesse se passe. Étrangement, nul ne fait tout un fromage du fait de rentrer à l’heure des brousses. Sauf l’administration française qui, dans sa volonté de se mêler de tout et de réglementer jusqu’à la langue surannée, décidera un beau matin que la brousse n’est pas un véritable fromage mais un produit laitier.

Il n’en fallait guère plus pour que le noctambule s’embrouille et décide, lassé de ces subtilités, de s’affaler devant son poste de télévision et de s’endormir bien vite.

Le moderne ne rentre pas à l’heure des brousses, à cette heure bleue où les travestis vont se raser, les strip-teaseuses sont rhabillées, les traversins sont écrasés et les amoureux fatigués. À cette heure où Paris et Marseille s’éveillent parce qu’il faut bien aller bosser.

¹De Gaulle.

Marcher comme les affaires de la ville [marSé kòm léz‿ afèr de la vil]

 

Fig. A. Une ville.

[marSé kòm léz‿ afèr de la vil] (lit. iron. DÉCONN.)

Quand c’est poussif, que ça hoquète du moteur ou que ça tousse dans l’action, quand ça déconne bicause magouille, quand ça s’égare dans le zig et un peu dans le zag, le langage de mamie fait dans la comparaison citadine en prétendant que ça marche comme les affaires de la ville.

« Ma 403 Peugeot marche comme les affaires de la ville » signifie par exemple qu’elle pourrait bien vite finir à la casse, et un postillonnant « ça marche comme les affaires de la ville » en réponse à « comment ça va la p’tite santé ? » laisse présager du pire. Autrement dit quand ça marche comme les affaires de la ville ça déconne à pleins tubes.

Les hypothèses sur la cité d’où provient l’expression sont légions.

Partout où l’édile a tapé dans la caisse, où le bourgmestre a confondu trésor public et larfeuille personnel, où les impôts locaux ont rassasié les grosses légumes du coin, a pu surgir marcher comme les affaires de la ville. Du moindre hameau de France à la plus lumineuse des cités en passant par les sous-préfectures de province, il se susurre que c’est ici qu’est née la litote aristarque.

Romorantin ? Pithiviers ? Nul ne sait où est née l’expression

Aucune étude sérieuse ne permet pourtant d’affirmer que le berceau est situé au Nord ou au Sud, que la ville en question est de garnison ou de villégiature, permettant ce faisant à chacun d’imaginer qu’il habite, au choix, une cité des anges ou de tous les vices.

C’est ce flou qui fera le succès de la critique contenue.

À Romorantin on pourra dire que ça marche comme les affaires de la ville en imaginant Pithiviers dans le pétrin, à Cherbourg on jettera sans le dire l’opprobre de l’expression sur Toulon. Et si l’on vise le fauteuil de premier magistrat aux prochaines élections on fera un usage intensif de marcher comme les affaires de la ville pour tancer la bien piètre efficacité de l’exécutif aux manettes.

Le moderne préférant réussir dans les affaires plutôt que dans l’ironie, il rendra bientôt caduque ces choses publiques qui ne l’intéressent guère.

Ça marche comme les affaires de la ville n’éveille plus aucune suspicion dans l’esprit de celui qui l’entend usitée. Ce qui a par ailleurs peu de chance de se produire puisque tout fonctionne désormais à merveille.

Avoir déroulé du câble [avwar dérulé dy kabl]

Fig. A. Adolphe Cochery : « Tu sais mon petit Jules², j’en ai déroulé du câble »

[avwar dérulé dy kabl] (Exp. P&T)

Fruit du temps qui a passé, et modeste consolation pour le (la) concerné(e), l’expérience tend parfois à se mettre en valeur histoire de rappeler au jeunot que ce n’est pas au vieux singe qu’il apprendra à faire des grimaces.

Ne pas avoir vendu de crème aux Allemands [ne pa avwar vâdy de krèm‿ oz‿ almâ]

Fig. A. BOF

[ne pa avwar vâdy de krèm‿ oz‿ almâ] (loc. germ. CULPA.)

En ces sombres années où le barbare se pavanait au pas de l’oie dans les rues de Paris comme dans celles du plus petit village de France, égorgeant au passage nos fils et nos compagnes, se concoctait aussi une expression qui marquerait bientôt les procès collabos avant de s’égayer dans le parler quotidien.

Ne pas avoir toutes les frites dans le même sachet [ne pa avwar tut lé frit dâ le mèm saSè]

Fig. A. Marchande de frites. Puces de Vanves.

[ne pa avwar tut lé frit dâ le mèm saSè] (expr. fam. & culin. CON.)

Inventée dans les rues de Paris au XIXe siècle¹, la pomme de terre frite s’est rapidement vue propulsée tout en haut du hit-parade des spécialités culinaires les plus appréciées au monde – non sans avoir effectué un petit tour via le plat pays qui lui aura conféré un statut de plat national² en sus d’un mode de préparation des plus appréciables.

Se graisser le toboggan [se ɡrèsé le tòbòɡâ]

Fig. A. Toboggan flou tel que vu après cinq verres.

[se ɡrèsé le tòbòɡâ] (loc. sport. ALCOO.)

Seuls des natifs du pays de la glisse pouvaient imaginer une structure permettant à la fois de faire marrer les enfants des mégapoles sans arbres (et aussi de leur briser les incisives, mais ceci est une autre histoire) et de satisfaire les plus grands avec une expression à boire comme la langue française sait en produire.

Aller se faire téter les yeux par les éléphants siffleurs [alèr se fèr tété lé jö par léz‿ éléfâ siflër]

Fig. A. Abul-Abbâs, éléphant siffleur de Charlemagne.

[alèr se fèr tété lé jö par léz‿ éléfâ siflër] (loc. pachyder. VALS.)

Rabrouer est un art.

Et l’on pouvait compter dans les temps surannés un certain nombre de formules pas piquées des hannetons portant aux côtés de l’architecture, de la sculpture, de la peinture, de la musique, de la littérature et du théâtre, l’art d’éconduire le fâcheux comme le seul et véritable septième.

Briller comme un étron de chien dans une lanterne [brijé kòm‿ ên‿ étrô de Sjê dâz‿ yn lâtèrn]

Fig. A. Rare photographie d’un homme brillant comme un étron de chien dans une lanterne.

[brijé kòm‿ ên‿ étrô de Sjê dâz‿ yn lâtèrn] (loc. dépréc. MERD.)

Fiat lux et facta est lux, que ce soit au feu des torches paléolithiques, au clair obscur des chandelles médiévales, à l’étrange halo des becs de gaz du Progrès, à l’incandescence des filaments de la fée électricité.