
Fig. A. Emballez c’est pesé.

Fig. A. Emballez c’est pesé.

Fig. A. Calcul du cap à prendre ou pas.
À l’époque surannée on n’osait pas tout.
Des fois on n’était pas cap, des fois on était cap. N’y voyez guère de lien avec une fameuse citation d’Audiard sur ceux qui osent tout (quoi que…), peut-être juste une crainte un peu plus forte du gendarme, qu’il soit maternel, professoral ou officiel.
Et ne venez pas me raconter que l’expression ne mérite pas sa surannéité, elle fut utilisée en public pour la dernière fois en 1986¹. Si ça n’est pas une preuve, je ne sais pas ce qu’il vous faut.
Allons, allons, ne me racontez pas le contraire, vous y avez tous pensé, bande de coquins ! Je le sais. Je vous vois. Mais ne vous en déplaise, sachez que le sucre d’orge n’a pas toujours été une allégorie libidineuse pour jeune fille en fleur en robe à smocks et en socquettes : oui, il fut avant tout un petit plaisir gustatif d’enfance aujourd’hui suranné. Ô sucre d’orge je me souviens de ton tortillon de couleurs, de ce rouge de ce blanc enlacés dans une farandole qui ne semble jamais vouloir s’arrêter.🎼🎶Lorsque le sucre d’orge
Parfumé à l’anis
Coule dans la gorge d’Annie
Elle est au paradis🎶

Fig. 1. Sucre d’orge pour Annie. Serge Gainsbourg.
Quelle harmonie hypnotique dégageaient-elles alors ces deux teintes contraires ! Cette petite canne courbée aux deux tiers de sa longueur, ce demi-tour effectué en même temps que ses essences lumineuses s’entremêlaient jusqu’à nous faire perdre l’idée de ce qui est dessus, de ce qui est dessous; le sucre d’orge nous faisait perdre nos sens rien qu’à l’apercevoir, cet indécent.
Il est devenu difficile à trouver, l’avez-vous remarqué ? Remisé au fin fond de boutiques spécialisées en sucreries surannées. Bafoué par de la confiserie de pacotille (mais néanmoins délicieuse) aux fantaisies marketées. Une victoire de la pudibonderie, de la pensée correcte ? Enfin, c’est ce qu’elle croit la bigote bougresse. Parce que lorsque les Chamallows fondent dans la bouche d’Annie, elle est toujours au pa-ra-dis…
Et là je vous sens circonspects.
Oh oui je l’entends la cohorte des modernes bien-pensants, je les connais ces empêcheurs de suranner en rond, ces chevaliers du jeunisme parlé, ces pourfendeurs du dictionnaire piqouzés au Wikipédisme : « Établissements n’est pas suranné, cet homme est fou, c’est un scandale ! Non au surannéisme ! Démission ! Autodafé ! ». Oui, je les connais bien. Et je vais ici leur répondre.
Je vous l’affirme établissements est suranné bien comme il faut. Établissements Bernard&fils, Établissements Fourcade&Cie, Établissements de la Victoire, Établissements des Magasins Réunis… Alors, c’est pas du suranné ça ? Eh oui les p’tits gars, avant de la ramener on réfléchit. On repense à ces lettres peintes avec application dans une typographie aux déliés subtils, là-haut au dessus du portail imposant, on se remémore la camionnette Citroën et sa bâche marquée du même sceau, et ce papier à lettres aujourd’hui jauni qui en donnait l’adresse et le téléphone en quatre chiffres. Eh oui, établissements c’est ce condensé de suranné que l’on croise parfois au détour d’un bourg de province ou d’une façade délabrée d’une banlieue redécouverte. Et je n’insiste même pas sur cette joliesse plurielle du « s » qui vient finir la chose. Établissements c’est une époque mon bon Monsieur.
Tiens, j’entends un téléphone qui grelotte…
“Allô… Garage Gaudin j’écoute.
Euh… Oui, bonjour M’sieur…
… Ah, j’sais pas si elle est prête… … Elle est d’quelle couleur déjà ?
Attendez, quittez pas, j’vais demander au chef d’atelier…
… Euh, c’est comment votre nom, déjà ?
Quittez pas…
– Raymond !!! Elle est prête la 405 noire du père Fradet ???”

Fig. A. Expert en galimatias à la tribune.
Allez savoir pourquoi, j’ai récemment pris en pleine poire un galimatias de derrière les fagots. Et dire que je l’avais oublié depuis si longtemps ce suranné là !

Fig. A. L’un des nombreux mots magiques.
Le mot magique !
Que ne l’ai-je entendu demandé par ma mère ce petit mot magique.
Il avait le pouvoir merveilleux de m’ouvrir toutes les boîtes à bonbons et il savait aussi m’accorder les grâces qu’un sourire ne pouvait déclencher à lui seul, malin que j’étais. Le mot magique. Le mot magique. Psalmodiée tel un mantra, son exigence rendait possible des actes volontaires de la part de ceux auxquels il s’adressait; quelle puissance il avait ce mot magique, ce simple s’il-vous-plaît.
Est-ce aussi parce qu’il est suranné qu’il est susurré si gentiment par ce Petit Prince venu d’ailleurs, si charmant et pressant ? Pour lui aussi, le mot magique est la clef d’entrée dans le monde des grandes personnes, si fascinant mais finalement si compliqué, sans dessus-dessous.
– S’il vous plaît… dessine-moi un mouton !
– Hein !
– Dessine-moi un mouton…
Je dis au petit bonhomme que je ne savais pas dessiner. Il me répondit :
– Ça ne fait rien. Dessine-moi un mouton.
Alors j’ai dessiné.