Souffler sa camoufle [suflé sa kamufl]

Souffler sa camoufle

Fig. A. Quelques camoufles.

[suflé sa kamufl] (loc. arg. MOR.)

Comme souvent dans ce pays de la rime riche qu’est la France, c’est en chanson que tout a commencé. En tant qu’à faire en chanson à boire (ou plus précisément en chanson pour qui a bu).

Ma camoufle est jtourbe, je n’ai plus de rifle, déboucle-moi la lourde, pour l’amour du meg, chantaient sur l’air d’Au clair de la lune les joyeux drilles éméchés de retour d’une tournée des grands ducs un peu trop arrosée. Car c’est ainsi, souvent le pochard partage son point de vue en flonflons.

Il en aura fallu des balades nocturnes et ballades avinées pour que souffler sa camoufle entre dans les foyers sagement endormis quand ces pochtrons braillaient sous les étoiles, mais ce sont bien eux, ceux de la goguette, qui en ont fait l’expression que l’on sait. À leur corps défendant.

Rétamée la chandelle, défunte la bougie, kaput le lumignon

Car c’est de celui que les abus avaient rongé dont il se disait qu’il avait soufflé sa camoufle.

Comme le poto du Pierrot des paroles d’origine, sa flamme s’était éteinte. Rétamée la chandelle, défunte la bougie, kaput le lumignon. Quiconque se trouvait ad patres pour cause de cirrhose ou de quelque incident de santé avait soufflé sa camoufle.

Et si le dernier souffle s’était trouvé rendu pour une autre raison, fut-ce celle de l’avancement en âge canonique, souffler sa camoufle convenait en parole mais ne s’écrivait pas, seule la langue châtiée s’appliquant au faire-part de la triste nouvelle (par exemple sous la forme d’un rappel à dieu). Pas de quoi ôter à l’expression l’envie de se faire populaire.

Malgré de trop nombreux incendies partis d’une bougie – tel celui de l’ambassade d’Autriche à Paris qui décima une partie de la noblesse d’empire venue assister au bal donné pour célébrer l’union de Napoléon 1er et de l’archiduchesse Marie-Louise – souffler sa camoufle ne fut pas bannie du langage.

C’est à la fée électricité chargée d’éclairer les soirées sans pâlir, qu’elle succomba. Chassant la cire sans état d’âme, la muse moderne la renvoya à la cave où elle prendra d’ailleurs son nom de rat-de-cave.

Celle qui démontrerait plus tard qu’elle pouvait elle aussi faire souffler sa camoufle au chanteur populaire électricien bricoleur en salle de bain (mais ceci est une autre histoire) eut ainsi raison d’une expression : c’est le Progrès dira-t-on.

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